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Les basses fosses

La Fraternité des Basses Fosses

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Sujet lancé par Hesmérine
Le 31-03-1508 à 18h35
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Posté par Hesmérine,
Le 04-04-1508 à 20h21
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Hesmérine

Le Luang 31 Marigar 1508 à 18h35

 
La jeune tchaë n’était sûrement pas originaire des basses fosses, dans sa robe ample, faite de drapages et de voilures réunies en un harmonieux désordre, rassemblant des tissus roses, vert pâle et jaune pastel.
Aussi légèrement vêtue qu’une prostituée, on pouvait à loisir laisser son regard s’attarder pour quelques instants sur les creux et les volumes que dessinait sa poitrine sous le fin tissu, ou admirer les bracelets d’argent qui teintaient à ses poignets et à ses chevilles.
Pourtant ses traits fins et sa musculature subtile, tout comme le soin apporté à sa chevelure retombant en mèches indisciplinées et parées de perles et de plumes sur ses épaules nues, trahissaient son origine plus aisée que le commun des résidents de ces quartiers mal famés.


Il venait parfois de ces bourgeoises à l’allure altière dans ces ruelles, d’ordinaire suivies de près par quelques mastards prêts à jouer du couteau pour justifier leur salaire auprès du seigneur de ces dames. Si la présente étrangère était protégée, ses ombres protectrices étaient si parfaitement discrètes qu’elles en étaient introuvables.
Si son inconscience ne faisait aucun doute aux yeux des passants, son attitude choquait. A l’instar de ses semblables, qui se comportaient vis-à-vis des miséreux comme avec les animaux du parc d’Ykena, les regardant avec condescendance et mépris, elle se comportait ici comme une étrangère, gardant profil bas, et ne dégageant pas le plus petit sentiment de supériorité. Elle semblait même respectueuse.
Il fallait savoir, pour comprendre son attitude, qu’elle avait passé une paire d’années à vivre dans une des masures sales et en ruine du quartier, pendant ses études, deux ans pendant lesquels l’affaire de ses parents n’avait guère était florissante que les girasols avaient manqué pour la loger mieux qu’ici.


Elle foulait ces pavés irréguliers et noircis par les ans et la crasse pour rendre visite à quelques anciennes connaissances de son séjour dans cet enfer, pour entretenir certaines amitiés, et en renforcer d’autres.
Chaque fois qu’elle avait eu des problèmes dans la cité, c’était vers ses compagnons des basses fosses qu’elle s’était tournée. Tant d’histoires sombres s’étant bien terminées, de son point de vue, la reliaient à ces gens, qu’elle en aimait réellement certains d’entre eux, et voulait les aider de son mieux.
Ayant appris que la grande naturaliste, sa supérieure, avait fait route pour la capitale, suite aux troubles qui y régnaient, elle s’était octroyée une journée de repos pour la passer auprès de ses amis. Ainsi se retrouvait-elle à essuyer les regards intéressés des passant, parfois lorgnant sur ses charmes, parfois sur sa bourse, parfois sur sa vie, pour soulager rage, misère et privations d’une vie miséreuse.


 
Hesmérine

Le Luang 31 Marigar 1508 à 19h50

 
Etrangement, elle ne fut guère inquiétée jusqu’à sa prochaine étape. Le doute quant au fait que la raison pour laquelle cette apparente bourgeoise n’avait pas d’escorte visible pouvait être qu’elle n’en avait pas besoin refroidissait bien des ardeurs.
Il n’y eu qu’un ivrogne à l’haleine putride et aux intentions d’aucune manière masquées qui se risqua à approcher de la robe colorée hantant les pavés grisâtres. Il s’était approché d’elle pour lui couper la route, en braillant à tue-tête et faisant de grands gestes maladroits.
« Eh là m’dame la bourg’ ! On veut pas faire un p’tit câlin au vieux Jeremiah ? »

Il s’était rapidement fait éconduire, avec une assurance l’ayant suffisamment dérouté pour qu’il ne revienne pas à la charge.
« Jeremiah, hein ? Prends un bain, rases-toi, coupes toi les tifs et peut-être que tu auras une chance, mais en attendant je te déconseille de vouloir forcer les choses… »

Lorsqu’il réagit à la pique, elle s’était déjà éloignée de quelques pas, et poursuivait le mouvement. Les éclats de voix dans son dos la firent sourire.
« C’est ça, ouais ! Files d’mon quartier la bourg’ ! Même moi j’voudrais pas d’toi ! Dégages d’mes pavés ! Vas faire la trainée plus loin ! »


Elle arriva donc sans embuches devant une petite masure particulièrement délabrée, qui avait dû être belle autrefois, du haut de ses deux étages. On y entrait par le sous sol, en descendant un escalier de pierres à moitié écroulées jusqu’à une porte en voute de bois vermoulu fermée par principe plus que par utilité, tant il aurait été aisé de la défoncer.
Elle frappa doucement l’anneau de fer rouillé contre le bois pour signaler sa présence, et attendit en se souvenant de l’odeur putride qui régnait en ces lieux, bien différente de celle des jardins. Il fallu quelques minutes avant qu’une tchaë rondelette d’une quarantaine d’années n’ouvre en grommelant.
« Elle s’est perdue la p’tite dame ou quoi ? Qu’est-ce que vous voulez ? »

Se rendant compte qu’elle se trouvait dans l’ombre, la jeune acolyte avança son visage au jour. La maîtresse de lieux manqua de mourir sur place lorsqu’elle reconnu sa visiteuse.
« Ca alors, Hesmérine ! Je ne t’avais pas reconnue dans l’escalier ! Entres, ma petite ! Ne restes pas là dehors ! »


Quelques minutes plus tard les deux tchaës étaient attablées autour d’une infusion infecte tenant lieu de thé bon marché, et dont la botaniste se refusait à regarder de près les plantes, tant elles avaient mauvaise mine. Elles conversaient déjà rapidement, portant chacune sur leurs genoux un petit bambin.
« Qu’est-ce qui t’amène par là ? »
La questionna l’hôtesse.
« J’ai appris que Tobias était malade, je venais prendre de ses nouvelles. Comment va-t-il ? »
La mine de la rondelette épouse s’assombri, tandis que sa voix se fit plus sombre.
« Pas très fort, il est cloué au lit, je ne sais pas ce qu’il peut avoir… Il n’arrête pas de cracher son sang… »

La jeune femme fit une petite moue. Elle déposa l’enfant qu’elle portait au sol.
« Tu veux bien aller jouer avec ton frère à l’étage ? Je dois parler avec ta maman… »
Hochant la tête, le bambin prit son cadet par la main et tous deux disparurent dans l’escalier. Leur mère regarda sa visiteuse, inquiète.
« Que se passe-t-il ? »
Elle lui sourit, pour la rassurer, lui prenant la main et déposant une bourse sur la table.
« Ce n’est pas grand-chose, mais avec ça tu pourras lui faire venir un médecin… »

L’ainée écarquilla de grands yeux, secouant la tête.
« Non, non, gardes tes girasols, je ne peux pas accepter ça ! »
La plus jeune ferma la main de son ainée sur la bourse, souriant.
« Ne t’en fais pas, j’ai trouvé un travail aux jardins, tu sais… Tu m’as aidée il y a quelques années, quand j’étais dans le besoin. Tu te souviens de toutes les fois où tu m’as nourrie comme ta fille ? Je te dois bien ça… »


Quelques minutes plus tard, après de pudiques négociations et une visite au mari souffrant, l’acolyte sortit de la maison, expliquant qu'elle repasserait plus longuement, mais qu'elle avait à faire et ne voulait pas se trouver dans le quartier à la nuit tombée. Elle salua son hôtesse qui la serra dans ses bras, une larme à l’œil.
Toutes deux tirent une longue discussion sur le pas de la porte, évoquant les années passées, plus heureuses pour la femme rondelette, et les années à venir, présentées comme meilleures par la jeune demoiselle
Elle fit promettre à l'épouse de faire soigner son époux, et de lui faire savoir si elle avait besoin de plus de girasols. De son côté, elle promit de revenir régulièrement prendre des nouvelles.
Quelques minutes plus tard, elles se quittaient, et le jeune acolyte se retrouvait dans les rues, à nouveau.


 
Hesmérine

Le Luang 31 Marigar 1508 à 22h51

 
La loi des basses fosses étaient ainsi faites que les gens veillaient les uns sur les autres au sein d’un même groupe, si bien qu’en ressortant de chez son ami la jeune tchaë avait trouvé adossés au mur de la maison d’en face trois hères en loques, à la mine patibulaire. Craignant une visite peu courtoise, ils se tenaient prêts à intervenir en se ruant dans la maison, tout en affichant une décontraction feinte.
L’un d’eux écarquilla les yeux en voyant le petit bout de femme qui ressorti paisiblement, et éclata de rire au milieu de la ruelle. Immédiatement, la tension se relâcha parmi les veilleurs, qui virent à la rencontre de la visiteuse après avoir échangé quelques paroles. Sans plus se demander qui était cette étrange bourgeoise qui semblait ainsi avoir des contacts dans le quartier, les gens se désintéressèrent.
Après quelques embrassades et politesses, et quelques réflexions sur la peur qu’elle leur avait fait en ne les prévenant pas de sa venue, ils la conduisirent sur le chemin d’une petite taverne misérable. Ne les ayant pas vus depuis quelques semaines, elle ne trouva pas de raison de refuser leur invitation.


Elle se retrouva bientôt attablée avec eux devant une bière à laquelle elle ne toucha même pas, trop occupée à parler et à écouter, leur apprenant sa nouvelle situation, où elle logeait dans le quartier bleu pour le cas où l’un d’entre eux aurait besoin de son aide, mais aussi à écouter leurs nouvelles, posant des questions sur la santé et la situation de connaissances communes du quartier.
La conversation se prolongea durant près d’une heure, dans une bonne humeur perpétuelle, teintée par moments de sobriété vis-à-vis des problèmes que rencontrait une personne, mais rapidement joyeuse à nouveau à la mention de l’aide qui lui était apportée, et qui la tirerait de sa mauvaise passe.
Il n’y eut que la nouvelle pour la jeune tchaë de la mort d’un compagnon dans une bagarre de rue, quelques jours auparavant. Les agressions étaient monnaie courante dans les basses fosses, le Chat de Gouttière, le chef local, ne parvenant pas à imposer un ordre permanant, mais le choc n’en était pas moins intense. On avait retrouvé son corps dans une ruelle, au matin, le dos percé d’un poignard.
La Tchaë apprit que la veillée nocturne en sa mémoire, une vieille tradition des miséreux qui, ne sachant pour la plupart pas écrire, ne pouvaient immortaliser sur le papier la vie d’un défunt se rassemblaient pour évoquer son souvenir, un peu après sa mort. Elle promit de s’y rendre, et y parler.


Un moment plus tard, l’acolyte quitta la taverne en compagnie d’un des garçons, tous deux se rendant presque au même endroit, lui se rendant à la forge dans laquelle il travaillait, et elle se rendant dans un magasin de tissu qu’elle avait beaucoup fréquenté, appréciant beaucoup le travail du couturier, même s’il n’avait les moyens d’obtenir des tissus nobles pour réaliser de réels chef d’œuvres.
En chemin ils bavardèrent, elle la première, le questionnant gentiment.
« Ton apprentissage auprès du vieux Jebel se passe bien ? »
Il éclata de rire, accélérant machinalement son pas.
« Avec le temps il se fait plus vieux, c’est moi maintenant qui le fatigue à le faire tenir mon rythme, et plus l’inverse ! »
Elle partagea son rire, clin d’œil amical sur le temps qui passait, et la vieille génération tirant sa révérence.
Il lui retourna en un sens la question.
« Et toi, tes études sont terminées alors ? Te voilà chercheuse ? »
Elle fit mine de réfléchir un instant.
« Oui, en effet, j’ai été embauchée au parc naturel. Mais la grande naturaliste est partie pour Oriandre, pour aider à défendre la capitale, je n’ai pas grand-chose à faire. »

Il acquiesça d’un signe de tête, avant d’évoquer les événements de la capitale.
« Tu sais ce qu’il se passe là bas à l’est ? »
Elle pressa à son tour le pas, pensant à ses parents.
« Apparemment quelqu’un a tenté de tuer le roi, et a fait entrer des créatures dans la cité. Ils se battent là bas, pour ce que j’en sais l’armée et quelques bleus sont en route. J’espère que tout ira bien pour eux. »

Ils passaient alors dans une ruelle étroite, et peureuse. Le forgeron s’arrêta et se tourna face à elle, la fixant de ses grands yeux.
« Tu te fais du souci pour tes parents ? »
Elle baissa la tête.
« Oui, ils sont toujours là bas… J’ai peur qu’il leur arrive quelque chose… »
Il la prit par les épaules, pour la guider.
« Ne t’inquiètes pas, tous les charbonniers sont là bas, ils ne risquent rien. Il ne va rien leur arriver. »


La marche reprit quelques instants et une embrassade plus tard, et il la conduisit jusqu’à la porte de l’échoppe qu’elle allait visiter, la rassurant de ses paroles tout au long du chemin. Elle ne remarqua pas qu’il lui fit faire plusieurs détours pour ne pas la laisser seule avant qu’elle ne se sente à l’aise, et que ce faisant il se condamna à recevoir une engueulade de son maître pour son retard au travail.


 
Hesmérine

Le Matal 1 Astawir 1508 à 17h28

 
Lorsque son compagnon la quitta, la jeune tchaë se tourna face à la porte de l’échoppe, regardant l’enseigne, une misérable planche de bois sur laquelle était peinte une grossière tunique. Elle était à l’image de la boutique, tout aussi peu reluisante et attirante. L’acolyte songea à l’étrangeté d’un si pauvre artisan qui pourtant possédait un talent duquel on ne pouvait douter.
Elle se décida à franchir la porte, faisant teinter une clochette suspendue par une ficelle au dessus de la porte, signalant par la même sa présence. Relevant la tête de derrière son comptoir, un vieillard aux cheveux poivre et sel apparu, une aiguille coincée entre les dents et une pile de tissus en main. Il la reconnu immédiatement, posant ses affaires pour venir à sa rencontre.
Elle le précéda, prenant la parole la première.
« Bonjour Joaquim, comment se portent les affaires ? »
Elle lui tendit les bras, et lui donna l’accolade, tandis qu’il lui répondait de sa voix chevrotante.
« Plutôt bien en ce moment. L’hiver à été rude, beaucoup de gens ont eu besoin de se couvrir ! »
Il dévisagea la tenue légère de sa visiteuse, l’air circonspect.
« D’ailleurs, tu ferais bien de te vêtir un peu plus toi aussi. »

Elle posa un doigt sur ses lèvres gercées, le coupant dans sa phrase, et ponctua son geste d’une remarque gentille, comme s’ils avaient déjà eu la même conversation des dizaines de fois.
« Je sais, les rues ne sont pas sûres pour une jeune fille comme moi, mais que veux-tu, je suis ainsi faite, insouciante. »
Il marmonna dans sa barbe, sans grande conviction. Elle sourit.


Le naturel reprenant le dessus, le marchand questionna la jeune tchaë.
« Qu’est-ce qu’un pauvre vieillard comme moi pourrait faire pour une belle minette comme toi ? Dis-moi… »
Elle caressa d’une main distraite un tissu soigneusement plié posé sur une table, près d’elle, en répondant.
« Il doit y avoir la veillée pour Korias ce soir, il me faudrait quelque chose de plus sobre à porter… »

Le vieillard n’avait guère connu le défunt, et n’était pas plus touché que cela, en revanche il flairait le moyen de faire une vente.
« Et bien, cela risque d’être court à faire d’ici ce soir, mais je devrais pouvoir y arriver si tu n’as pas trop changée depuis la dernière fois… Tu as grossie, non ? »
Elle ouvrit de grands yeux, rougissante, avant qu’elle ne comprenne lorsqu’il éclata de rire qu’il la charriait.
Professionnel, il lui tendre les bras loin du corps, pour prendre ses mesures, dans la foulée de son rire qu’elle avait partagé après coup. Ses gestes lui rappelèrent l’une des raisons pour lesquelles elle aimait ce tisseur, il ne la pelotait pas en faisant son travail. Il eut tôt fait de finir et de hocher la tête.
« Qu’est-ce que tu veux, alors ? Quelque chose de sobre tu as dis ? »

Elle se donna un instant pour réfléchir, regardant autour d’elle avant de désigner un tissu sombre, dans les tons de gris, à l’allure rêche et peu reluisante.
« Celui là sera parfait. Quelque chose d’ample, et sans fioritures. Qui masque les quelques formes que j’ai… Ah oui, et avec une capuche, ample aussi. »
Il la regarda, notant mentalement.
« Très bien, tu auras tout ça à temps. »


Elle s’approcha de lui pour parler plus doucement, jetant un coup d’œil autour d’elle.
« J’aurais besoin d’autre chose, de différent. Je sais que tu as parfois l’habitude de cacher des fugitifs des noireauds, dans ta cave. Tu pourrais me la louer cette nuit ? »
Il se figea, se redressant, prenant un air tout autrement sérieux.
« Qui veux-tu cacher gamine ? »
Elle répondit en un souffle.
« Simplement moi. »

Il tiqua, la regardant avant de grands yeux.
« La Bulle Noire te recherche ? »
Elle lui rendit son regard.
« Non, mais avoir un endroit où passer la nuit me tranquilliserait, pour après la veillée. »
Il hocha la tête.
« D’accord. »
Elle ferma les yeux.
« Combien ? »
Il afficha un sourire carnassier.
« Six girasols pour la tenue, et six de plus pour la location. Parce que tu es une bonne cliente. »
Elle acquiesça, et paya la somme.
Il empocha l’argent dans un pli de son vêtement, et la regarda sérieusement.
« Tu n’auras qu’à revenir me voir avant d’aller à cette veillée, ton vêtement sera prêt. Je te dirai alors comment faire pour cette nuit. Maintenant, excuses-moi, j’ai du travail. »
Il la salua d’un signe de tête avant de retourner à ses affaires. Elle resta un moment immobile avant de quitter le magasin, notant son rendez-vous.


Elle comptait sur l’indiscrétion presque proverbiale dans les basses du vieillard pour faire courir le bruit qu’elle dormirait chez lui la nuit suivante. Elle ne redoutait rien en particulier, mais la prudence naturelle de celle qui avait vécu dans ce quartier durant deux ans lui avait soufflé de brouiller les pistes, simplement au cas où…
Un détrousseur opportuniste, une vieille connaissance qui ne serait pas animée que de bonnes intentions, une bande de voyous en mal d’action, il arrivait vite d’avoir un accident dans les basses fosses. Il lui était plus sûr de ne pas se trouver où elle serait censé l’être la nuit, elle était une proie facile.
Elle nota dans un coin de son esprit de faire ce qu’il faudrait pour être dans les petits papiers du Chat de Gouttière, et ainsi bénéficier de sa protection amplement suffisante pour calmer toutes les ardeurs.
Elle tourna un moment sur elle-même devant l’échoppe, se demandant où elle avait voulu se rendre.


 
Hesmérine

Le Matal 1 Astawir 1508 à 19h11

 
Les pas de la tchaë la menèrent vers le premier incident sérieux de la journée, lorsqu’elle s’égara, voulant se rendre dans une herboristerie qu’elle avait visitée quelques fois pour y trouver des herbes à infuser ou à fumer, parfois pour elle-même, mais le plus souvent pour quelqu’un d’autre qui ne pouvait s’y rendre. Elle tourna en rond, cherchant à trouver de quelle manière sa mémoire lui faisait défaut.
Elle n’avait pas vu en s’engageant dans une petite ruelle qu’elle comportait une alcôve assez large pour abriter les cinq garçons à la mine patibulaire qui en sortirent à son approche pour lui couper le chemin avec un calme feint, et des gestes coulés pour afficher une fausse assurance intimidante.
« On cherche un peu de compagnie ma jolie ? »
Elle se figea en entendant ses paroles, blanchissant.
Ils avaient beau en rajouter pour forcer ce trait, ils n’en étaient pas pour autant moins intimidant pour la jeune femme. Elle tâcha de faire face, les dévisageant comme si elle ne les craignait pas, répondant d’un ton sec.
« Je suis pressée, je n’ai pas le temps de bavarder. »
Elle reprit sa marche, passant entre eux d’un pas qui se voulait assuré, mais qui de fait était plutôt incertain.


Deux paires de bras la tirèrent violement en arrière, pour la plaquer sans ménagement contre le mur. Elle sentit l’acier froid d’un poignard se poser sur sa gorge. Celui des voyous qui l’avait interpelé, et qui semblait être le chef du groupe, reprit la parole, moqueur.
« Doucement petite oie, tu n’es pas pressée au point de refuser de t’amuser un peu avec nous… »

Il posa ses mains sur son ventre, sans aucune douceur. Elle ferma les yeux, des larmes perlant à ses paupières. La voix malsaine s’éleva encore.
« Ne t’inquiètes pas la bourgeoise, on veut juste s’amuser un peu, on ne te fera pas de mal… »
Un craquement de tissu que l’on déchire souligna à quel point la notion de faire du mal pouvait être vague à l’esprit de certains.
Elle sentit la prise sur ses poignets se raffermir. Sa gorge se noua. Elle se mit à sangloter. Que pouvait-elle faire d’autre ? Appeler à l’aide ? La lame aurait tranché sa gorge avant que l’on ne puisse lui porter secours, à supposer que qui que ce soit lui porte secours. Un deuxième garçon commença à la peloter. Elle s’attendait à ce qu’on finisse de lui arracher sa robe d’un instant à l’autre.


L’instant ne vint jamais. De gros éclats de voix se firent entendre à un bout de la ruelle, et un bruit de cavalcade, plusieurs personnes accourant. Pris de panique, les voyous s’enfuirent, non sans que l’un d’entre eux décroche un violent coup de genou dans l’estomac de sa victime qui s’effondra au sol, le souffle coupé.
Des bras puissants la relevèrent.
« Tout va bien m’dame ? »
Elle ouvrit les yeux, timidement. Des mines patibulaires, des tenues sombres. Des uniformes, plutôt. Elle mit quelques instants à réaliser que des veilleurs de la Bulle Noire faisant leur chemin coutumier dans les ruelles étaient intervenus. La question lui fut répétée.
« Ça va aller ? »
Elle hocha la tête, se tenant le ventre à deux mains.
Un des charbonniers enleva sa cape et l’enroula autour de ses épaules beaucoup trop fines pour la supporter. Le geste la calma quelque peu. Elle essaya de calmer ses pleurs, regardant les trois soldats qui l’avaient sauvée. Elle sanglota.
« Merci… Merci de m’avoir sauvée… »

Des sourires francs se dessinèrent sur les visages des noireauds. On lui répondit.
« On est pas les salauds qu’on peut décrire dans l’quartier tu sais, c’est notre boulot d’protéger les gens. »
Elle esquissa un sourire, se rassurant lentement. Elle rendit la cape à son propriétaire, le remerciant. Elle les remercia tous chaleureusement, encore sous le choc. Elle leur demanda leurs noms.


Quelques minutes plus tard, ils s'apprêtaient à la quittaient, une fois qu’elle eut réarrangé les voilures de sa robe pour la refermer, peu esthétiquement mais pudiquement, et qu’elle se soit calmée. Elle l’avait échappé belle. Elle songea amèrement qu’elle avait perdues quelques précautions prudentes depuis son départ des basses fosses. Elle les regarda partir, lorgnant sur les épées à leurs ceintures.
Elle nota mentalement de s’acheter une arme, une dague ou un stylet, ne serait-ce que pour intimider et décourager ce genre de tentatives. Elle avait été plutôt douée, plus jeune, pour imiter les postures qu’on lui avait montré et donner l’impression de savoir manier une telle arme, alors qu’elle n’était qu’une piètre duelliste.
Elle n’avait plus la moindre envie de se trainer dans les rues pour la journée. Elle avait déjà été agressée plusieurs fois pendant qu’elle vivait dans le quartier, mais elle ne s’habituait jamais à cela. La peur avait été trop intense pour elle, elle perdit connaissance, s'étalant sur le sol à leurs pieds.


 
Hesmérine

Le Matal 1 Astawir 1508 à 23h00

 
Le choc. Brutal. Soudain. Glacé. La jeune femme revint à elle brusquement. Le saut d’eau glacée qui venait de lui être vidé sur la figure n’était pas étranger à cette rudesse. S’appuyant sur les avant bras, se tournant face vers le sol, toussotant, recrachant l’eau qu’elle venait d’avaler, elle mit quelques instants à prendre conscience de ce qui l’entourait.
Une voix amusée s’éleva.
« C’est bon les gars, elle va bien. »
La tchaë releva le visage pour regarder la personne qui venait de prononcer ces mots. Ce visage lui disait quelque chose. Les événements passés lui revirent en mémoire. Son agression. Son sauvetage. Et puis le noir. Elle hasarde une question.
« Que s’est-il passé ? »
Des rires lui répondent.
Deux bras l’attrapent sous les aisselles et la remirent sur pieds. Elle tituba. On la soutint. Elle trouva son équilibre. Alors on lui répondit.
« Tu t’es faite des amis dans une ruelle, d’braves petits qui avaient l’air de t’apprécier, quand on est arrivé… Tu te souviens ? »
Elle réfléchit, un instant, puis hocha la tête.
Le soldat lui tapota l’épaule.
« Tout va bien maint’nant. Si c’n’est qu’une bonne crève te guète si tu restes dans ces vêtements trempés. Tu devrais rentrer chez toi… Tu as un chez toi ? »
A nouveau elle hoche la tête, songeant amèrement que celui qui lui donne ce conseil est le responsable de son état.
« Bien, bien... Rentres vite alors... »
Un sourire, un geste vague de la main, et le soldat tourne les talons, suivis par ses camarades. La jeune victime reste seule sur la place, cheveux et robe détrempée, et robe également déchirée. Le vent pousse une plainte plus forte. Elle frissonne. Il ne fait pas un temps à rester ainsi trempée.


Réflexion, quelques instants. Elle essaie de se repérer. Une place, avec un puits. Des dalles irrégulières, des maisons à un étage en cercles, se ressemblant. Une plus haute. Elle porte une enseigne. Une tannerie. Une tannerie tenue par un vieux couple et leurs enfants, une famille paisible. L’établissement porte encore la noirceur d’un incendie ayant eu lieu quelques années avant. Elle se repère.
Sous les regards amusés de la faune présente, et intéressés pour certains, elle quitte la place. Par une ruelle assez large, et fréquentée. Elle a eu suffisamment de frayeurs pour la journée, et préfère éviter les mauvaises rencontres. Elle marche vivement, sous le coup de la tension et pour se réchauffer.
Une dizaine de minutes plus tard elle frappe à une porte, au dessus de laquelle une lanterne rouge est accrochée. Une maison close. A cette heure matinale, elle n’est pas ouverte. Une petite trappe s’ouvre dans la porte. La visiteuse s’annonce.
« Je viens voir Maya. Dites-lui que c’est Hesmérine. »
Un silence accueille sa phrase. La trappe se referme. Elle attend, devant la porte.


Quelques minutes plus tard, les verrous se font entendre, puis la porte s’ouvre sur un grand tchaë. Il regarde avec dédain la visiteuse avant de lui céder le passage. Elle t’attend. A l’étage. Seconde porte à gauche. Elle grimpe à l’étage en toute hâte, et frappe à la porte, timidement. Une voix répond.
« Entre. »

Elle tourna la poignée, et pénètre dans la chambre. Une chambre typique de maison close. Luxueuse au milieu des ruines. Assise sur un tabouret, dos à une coiffeuse, une tchaë un peu plus vieille qu’elle la regarde avec de grands yeux, pouffant.
« Mais qu’est-ce qui t’es arrivé ma grande ? »
Elle baisse les yeux, répondant timidement.
« J’ai été agressée… »

L’autre se figea. Elle se leva, brusquement, venant vers elle. Elle ferma la porte. A clé. Ceci fait elle conduisit son invitée vers le lit.
« Ma chérie, ne restes pas dans ces vêtements trempés, allez enlèves-moi ça ! »
Elle l’aida à se déshabiller, sans geste déplacé, respectueusement, avant de l’enrouler dans des couvertures pour lui tenir chaud.
Elle la serra dans ses bras, comme le ferait une grande sœur. Elle était inquiète.
« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »
La tchaë lui raconte sa mésaventure. L’autre l’écouta avec patience.
« Tu as besoin de te reposer, fais un somme, je vais voir ce que je peux faire pour ta robe… Je reste avec toi… »


L’acolyte s’allongea sur le lit, se blottissant sous les couvertures. Elle ferma les yeux. Elle tremblait. Elle n’arriverait pas à dormir, mais la présence de sa vieille amie la rassurait. Elle se sentait en sécurité.


 
Hesmérine

Le Matal 1 Astawir 1508 à 23h53

 
Un moment passa, quelques dizaines de minutes, avant que la prostituée ne revienne s’asseoir sur le bord du lit, pour voir comment se porter sa réfugiée. Lorsqu’elle vit qu’elle ne dormait pas, elle passa la main dans ses cheveux mouillés. Elle hocha la tête, lui parlant avec douceur.
« Assieds-toi ma chérie, je vais te sécher les cheveux. »

L’acolyte s’exécuta, s’asseyant sur la couche, dos à sa compagne. Cette dernière revint quelques instants plus tard avec une serviette en éponge et s’installa pour faire son œuvre, lui massant le crâne. Elle lui parla naturellement, ce faisant.
« Tout va bien ma chérie, tu ne risques plus rien. Ici tu peux être sûre que personne ne viendra te chercher de noises. »

Une moue se dessina sur le visage de la plus jeune.
« Je sais… Merci de m’accueillir, je ne savais pas trop où aller… »
On pouvait presque sentir le sourire de l’autre dans sa réponse.
« Tu sais bien que tu peux toujours compter sur moi. Je te dois la vie, ne l’oublies pas… »


Pensées lointaines. Elle ne l’oubliait pas. Quatre années auparavant, celle que l’on appelait Maya avait frôlé sa fin. Un prétendant éconduit l’avait attendue une nuit, lorsqu’elle rentrait chez elle, et l’avait rouée de coups. C’était les cris de la jeune tchaë, et un tesson de bouteille chanceusement bien lancé qui avaient empêché le misérable de la battre à mort.
Elles ne se connaissaient pas, mais la jeune acolyte, simple étudiante à l’époque, avait recueillie la blessée dans sa petite chambre, chez son logeur, pour la soigner et la cacher. Elle avait pris grand soin d’elle, comme d’une amie, et l’avait traitée comme telle, sans raison aucune que celle de la solidarité. Elle savait combien la vie de femme était difficile dans les basses fosses.
Il s’agissait du beau côté de leur relation. Une partie plus sombre, qu’elles évoquaient avec beaucoup plus de pudeur et de rareté, était que l’agresseur avait été retrouvé par les compagnons de la jeune botaniste et avait mystérieusement quitté le quartier sans laisser de traces. La violence était part non négligeable de la vie des basses fosses.
Depuis ce temps là, les deux tchaës avaient été amies, et très proches. Elles s’étaient considérées comme deux sœurs, réellement, de cette autre Fraternité qui se développait discrètement dans les quartiers pauvres. Elles ne s’étaient jamais perdues de vue.


Les cheveux de la jeune femme secs, la serviette avait glissé sur le sol, et les doigts habiles de la prostituée les avaient remplacés pour coiffer son invitée. Elle savait qu’il s’agissait là d’une attention qu’elle appréciait, et qui parvenait à l’apaiser la plupart du temps. Elles continuaient à parler, évoquant leur passé commun.
Les heures passèrent ainsi, dans cette chambre, les deux tchaës finissant par ne plus penser à ce que l’une d’elles avait subie avant de rejoindre l’autre, discutant et riant à propos de tout et de rien, venant à se raconter leurs récente vies mutuelles. Le soir arrivé sans crier gare, les surprenant.
Une petite cloche tinta dans la maison close. L’invitée questionna.
« Qu’est-ce que cette cloche signifie ? »
Son hôtesse lui répondit sur le champ, sans réfléchir.
« C’est le signal que la maison va ouvrir, et que les premiers clients ne vont pas tarder à arriver, il faut qu’on se prépare pour les accueillir. »
Elle sourit face au regard triste de son amie qui venait de comprendre.
Celle qui se nommait Maya se leva pour aller fouiller dans son placard. Elle en tira une grande toge couleur terre, avec une capuche. Une tenue étrange dans la garde robe d’une fille de joie. Elle la tendit avec un sourire à son invitée.
« Tiens, prends ça, c’est une cliente qui l’a oublié il y a quelques temps, je le gardais pour lui rendre si elle repassait, mais il te sera plus utile. Il te tiendra chaud. »
Sans chercher à discuter, voyant au regard de sa compagne qu’elle ne sortirait pas sans avoir ce vêtement sur ses épaules, la jeune tchaë l’enfila.
« Merci… Je te le rapporterai au plus tôt, c’est promis. »


Quelques minutes plus tard, après quelques minutes passées dans les bras de sa grande sœur affective, la jeune tchaë s’éclipsait de la maison des plaisirs, sous sa lourde toge un peu trop grande. Elle songeait déjà revenir pour voir son amie et la remercier encore une fois.
Elle devait retourner chez le tailleur pour récupérer ses vêtements commandés. Elle avait tardé chez sa compagne et allait devoir faire le chemin de nuit. Par chance, sous sa toge, on la prenait aisément pour un homme. Elle tâcha de se donner une démarche virile, assez mal simulée, en marchant.
Dans sa manche elle serrait nerveusement un présent de sa sœur, un stylet. Elle avait tenu à ce qu’elle le prenne, et lui avait fait jurer de ne pas hésiter à s’en servir si on l’agressait de nouveau. Elle entendait tenir parole, même si elle doutait de sa capacité à se servir correctement de l’arme.


 
Hesmérine

Le Merakih 2 Astawir 1508 à 17h39

 
La silhouette indistincte se faufilait dans les ruelles, cachant un poignard serré entre de fines phalanges qui blanchissaient sous la pression. Le visage masqué sous la lourde capuche jetait des regards aux alentours, guettant le moindre danger. Le souvenir de l’agression subie plus tôt était encore très frais.
Aux côtés de la marcheuse matérialiser une petite créature volante, ressemblant à un fruit que l’on pouvait trouver parfois sur certains arbres, un fruit rare. Mais celui-ci bougeait, et tournait autour de sa compagne de symbiose. Elle, puisqu’il s’agissait d’une personnalité féminine, ne parlait pas. Du moins pas avec des mots. Cela ne se voyait pas, mais les deux êtres étaient en pleine discussion.
Plus sûrement que la toge à l’allure guère engageante, ou que le poignard si il avait été tiré, la molle calmait à elle seule les ardeurs des passants. Tant de bruits courraient sur la puissance des symbiosés que s’attaquer à l’un d’eux demandait un certain cran, dont beaucoup refusaient de faire preuve.

dit :
Eh bien princesse, je ne pensais pas que tu étais du genre à côtoyer de tels quartiers. Et tu as presque l’air à ton aise. Je ne t’aurais pas vue dans cette ruelle tout à l’heure, j’aurais presque pensé que tu étais dans ton élément… Dis-moi, qu’est-ce qu’on vient faire dans ce lieu ?


Qu’est-ce que je viens faire, je ne t’ai pas invitée à me suivre. Et je pourrais te répondre que cela ne te regarde pas, mais tu le saurais de toute façon, puisque tu iras là où j’irais...

Mais je vais être grande dame, j’ai besoin de contacts dans les basses fosses, pour et cela ne se fait pas sans un peu de sang et de douleur…


dit :
Oh oh ! Je vois, tu veux te lancer dans la truandise ! A peine tu trouves un poste dans les jardins que tu veux le quitter, c’est ça ? C’est le salaire qui ne te convient pas, ou le décor des parcs ? C’est vrai que ces ruelles miteuses sont plus agréables, et quelle joie que de ne pas avoir de salaire fixe…


Ne dis pas de bêtises, je ne compte pas faire dans le banditisme. Pas si je peux l’éviter…

Mais tu te rends compte du potentiel qui se cache dans les basses fosses ? Tu imagines combien de savants ou d’artistes de génie se trouvent ici sans le savoir, et ce qu’ils pourraient devenir ?

Tu te rends compte de ce qui se passerait si quelqu’un, disons, moi, leur enseignait les arts, les sciences, les lettres ? Si on leur donnait les moyens de mener de se sortir de la misère, de rejoindre les Bulles ?


dit :
Tu me rassures princesse, je me disais bien que tu ne pouvais pas être une truande… Mais alors dis-moi, pourquoi veux-tu prendre contact avec la pègre ? Si tu veux aider ces gens, tu n’as pas besoin de faire des affaires louches avec eux… Pourquoi risquer des ennuis avec la Bulle Noire ?


On ne fait rien dans les basses fosses dans le dos du Chat de Gouttière, et il est très hasardeux de se lancer dans une entreprise sans sa protection.

Tu vois, il y a des gens qui se font des girasols sur le dos de ceux des bas quartiers. Les voir s’émanciper et s’éduquer ne plairait pas à tout le monde.

Je n’ai pas envie de me faire poignarder pour avoir voulu aider les gens….


dit :
Ça se défend. Mais dis-moi, qu’est-ce qu’il en aurait à faire de ton action, ce chef du coin ? Si c’est un truand, il doit être de ceux qui se font leur vie sur le dos des autres, comme tu dis. Qu’est-ce qui te fait croire qu’il voudra t’aider et qu’au contraire il ne va pas ruiner ton projet, et toi avec ?


C’est une question de monnaie d’échange, Mélodie.

Les symbiosés ne sont pas si communs que cela, et en compter une dans ses rangs lui serait certainement un avantage. Je n’apprends pas la magie uniquement pour mes recherches tu sais.

Et puis, avoir ses entrées dans les jardins pourrait l’intéresser. Je suis certaine qu’il pourrait faire bon usage de certaines plantes dont parle le livre de la Grande Naturaliste, tu sais, celui qu’on a commencé à lire hier soir ?


dit :
C’est possible, oui. J’espère que tu ne te trompes pas en pensant ça. Ca m’ennuierait de me retrouver orpheline de dure, je ne suis pas mûre pour ça. Même si je ne te comprends pas tu as tes charmes…


Je vais le prendre comme un compliment… Mais tu sais, il parait qu’il a bon fond… Je ne sais pas, je verrais ça quand je l’aurais rencontré, si je parviens à le trouver…


Elle heurta soudain un passant qu’elle n’avait pas vu venir, qui sortait d’une ruelle sombre. Sous le choc elle bascula à la renverse, se cognant les fesses contre les pavés irréguliers. Le tchaë, c’était un homme, s’excusa et l’aider à se relever, avec douceur et gentillesse.
Elle grimaçait sous sa capuche. En tombant, elle s’était ouvert la main sur la lame de son stylet. Elle s’excusa à son tour, avant de resserrer les dents. L’homme s’éloigna. Elle le regarda partir, et se mit à incanter une fois qu’il avait quitté son champ de vision. La magie opéra, refermant lentement la plaie.
La douleur passée, elle se remit en marche. Un doute lui venant soudain à l’esprit, elle tâta sa hanche, sa ceinture, plus précisément. Elle grommela un juron, constatant que sa bourse avait disparue. Elle se retourna, marcha sur ses pas. En vain, le pickpocket avait disparu. Elle s’était faite avoir, cette fois.


 
Hesmérine

Le Merakih 2 Astawir 1508 à 22h10

 
L’acolyte arriva finalement sans plus d’encombres devant l’atelier de tissage. Elle frappa à la porte, close à cette heure tardive, en appelant le vieillard.
« Joaquim ! Joaquim ! C’est Hesmérine ! Ouvres ! »
Le manège dura quelques minutes, sans doute le temps de réveiller le propriétaire qui se couchait généralement tôt.
La porte finit par grincer et s’ouvrir, sur la silhouette de l’artisan. Il bougonna.
« Grmbl ! C’t’a c’t’heure ci qu’tu débarques la môme ! J’t’atendais plus ! Entres donc, tout est prêt. »
Il retourna dans son fourbi, où elle le suivit. Il farfouilla quelques instants avant de sortir la tenue commandée et la lui tendre.
« Tiens ! Essayes donc pour voir si tout est bon ! »

Elle prit le vêtement, pour le regarder. Une longue robe, très simple. Plutôt ample, avec des manches longues. Un vêtement classique, sans fioritures. Et avec la capuche qu’elle avait demandée, plutôt grande. Elle le regarda, haussant un sourcil.
« Tu espères que je vais l’essayer devant toi ? »
Il se retourna. Elle enfila le vêtement.
« C’est parfait ! »

Le vieillard la regarda, une expression indéfinissable sur le visage. Il hocha la tête.
« Bien. Pour cette nuit, fais comme tu as fais là pour me prévenir, je viendrais t’ouvrir. Maintenant, je vais retourner me coucher. »
Il bailla, avant de la reconduire à la porte pour la fermer dans son dos, rapidement.


Elle marcha jusqu’à la taverne, faisant quelques mouvements pour s’habituer au tissu et en éprouver la raideur, le faire à ses gestes. Elle tenait la grande toge dans ses bras, et le stylet caché au dessous. La malchance ne la poursuivit pas, et elle n’eut pas d’ennuis, arrivant saine et sauve à l’auberge.
A l’intérieur, elle trouva la salle plutôt remplie, la veillée en l’honneur du défunt ayant rassemblé ses connaissances. Tout était peu bruyant, chacun respectant le moment en se faisant discret. On n’entendait pas de grands cris, de musique, et craquement ou d’injures, comme à l’accoutumée. Même ceux que l’on devinait être des durs, aux mines patibulaires, se tenaient tranquilles. Ils devaient d’ailleurs dissuader les autres de manquer de respect.
Elle repéra ses compagnons, attablés sobrement. L’un d’entre eux lui fit signe de venir les rejoindre. Bientôt elle fut attablée avec eux, devant une bière infecte qu’elle osait à peine goûter, et uniquement par politesse parce qu’on la lui avait offerte en apprenant qu’elle s’était faite voler sa bourse dans la rue. Peu de mots étaient échangés.
Un moment s’écoula, dans cette tranquillité propice à repenser au Frère perdu. Les gens arrivaient petit à petit. La présence de certaines grosses frappes de la pègre locale assureraient pour la soirée que rien ne viendrait déranger les présents. Il aurait fallu être fou pour vouloir semer le trouble dans un établissement ainsi peuplé de gaillards au couteau léger.


Un moment plus tard, un tchaë déjà âgé, aux longs cheveux et à la barbe poivre et sel, frappa du soc de sa choppe sur la table, pour attirer l’attention. Il se leva, la salle se fit silencieuse, les regards se tournèrent vers lui. L’hommage commençait. Le gaillard prit la parole, sobrement, de sa voix forte.
Il était le père du défunt, et le premier à parler de son fils. Il évoqua les bons moments et les coups durs avec son fils, en dressa l’éloge, riant de ses défauts, dans un ton très solennel, dans la droite tradition des basses fosses. Personne ne lui coupa la parole, personne ne fit un bruit. Certains yeux brillaient.
Une à une, les personnes qui voulaient prendre la parole le firent, prononçant tour à tour les paroles qu’elles voulaient prononcer. Il en allait ainsi dans ces veillées, chacun était libre de s’exprimer. Jamais personne ne venait pour cracher son venin sur le dos du défunt. C’était un coup à ne pas ressortir en vie de l’auberge. L’émotion faisait sa place, lentement. La mémoire faisait son œuvre.
Il était étrange de voir ces voyous, ces truands, et ces miséreux faire preuve de tant d’affection et de sensibilité pour l’un des leurs. Les querelles n’avaient pas leur place en ces lieux, chacun était un ami de celui que l’on honorait, et méritait pour un soir le respect, à ce titre. La Fraternité prenait un sens tout autre dans ce genre d’événements. Le désordre laissait un temps la place.


 
Hesmérine

Le Julung 3 Astawir 1508 à 16h28

 
Vint le moment où la naturaliste sentit aux pincements de son cœur que son tour de parler était arrivé. Il en allait ainsi, dans ces veillées. Il n’y avait pas d’organisation, chacun intervenait à la suite d’un autre, lorsqu’il sentait venir à lui les mots. Et personne ne coupait la parole au premier à le faire. Ceux qui rataient l’occasion attendaient patiemment, car parfois pour la soirée uniquement l’orateur était un ami.
Elle se leva, pour signaler son intention de prononcer quelques mots. D’un geste simple, elle rejeta la capuche de sa robe sur ses épaules, car ce n’aurait pas été respecté la tradition que de parler à visage masqué. Les regards se tournèrent vers elle, elle se mouilla les lèvres d’un coup de langue.
Selon la formule consacrée, quoiqu’un peu désuète, au point que la majorité des personnes en étaient arrivés à ignorer son origine, elle commença son discours. Sa voix était chargée d’une émotion franche, impossible à simuler, même pour la meilleure actrice de théâtre. Son hommage prenait naissance.

« Je suis une Sœur des Basses Fosses, et je dis, que soit honorée la mémoire d’Akim ! »


Comme à chaque intervention, la foule répondit, d’une même voix.

« Que sa mémoire soit honorée ! »


Elle marqua une pause, le temps d’avaler sa salive. Ce n’était pas là un artifice oratoire destiné à produire un quelconque effet, simplement l’émotion qui lui nouait la gorge, l’empêchant de parler.

« Je n’avais que seize ans la première fois que je l’ai rencontré. Et il n’en avait pas plus que moi. Je rentrais du Mont Ykénia, après la tombée de la nuit. Seule, comme toujours. Lui trainait dans les rues, comme à son habitude, à la recherche de quoi se nourrir… »


Une manière détournée de présenter son activité de voleur. La pudeur était à l’œuvre dans le choix des mots.

« Il m’avait abordée, pour me demander son chemin, faisant mine de s’être perdu. Et il a fait son œuvre avec moi. La seule chose de valeur que contenait ma bourse était une petite perle de mer, que ma mère avait ramassée à Oriandre, pour moi. Elle m’en avait faite faire un pendentif sans aucune valeur… »


Passant la main sous son vêtement, dans son cou, elle tira la petite ficelle qui retenait la perle, pour la montrer à la salle. Le moindre coup d’œil suffisait à se convaincre de la breloque que c’était.

« Je ne m’étais pas même rendu compte qu’il m’avait touchée. Je suis rentrée, et ne me suis rendu compte qu’une fois arrivée que j’avais perdu le présent de ma mère. Je crois que je n’ai jamais autant pleuré que cette nuit là. Je suis allé me coucher, la mort dans l’âme. Là encore je ne l’avais pas vu…

J’ignore pourquoi mais il m’avait suivie, et m’avait regardé pleurer, et puis tourner dans mon lit. Il a compris ce qui me faisait pleurer. En pleine nuit, et chez mon hôtesse, il a crocheté la fenêtre de ma chambre pour y rentrer. Et il m’a parlé, pour que je le remarque. Il m’a parlé toute la nuit pour me réconforter, et m’a rendu mon collier. Il avait pensé que j’étais riche, en me voyant venir de l’extérieur du quartier, et avec mes livres à la main. Quant il a su, il s’est excusé. Il a dit que jamais il n’aurait volé une Sœur, ou un Frère, et qu’il ne le ferait jamais. Il n’a jamais manqué à son noble honneur….
»


Les larmes lui venaient aux yeux, roulant sur ses joues. Elle ferma les yeux, pour tenter d’endiguer ce flot émotif qui se déversait hors d’elle. Cela ne fit pas cesser les larmes. Elle poursuivit ainsi, aveugle.

« Chaque fois que quelqu’un avait des problèmes, il était là pour l’aider. Quant l’usurier Horias avait voulu chasser la vieille Magdalena de chez elle, à cause de ses dettes, il a été sur place le jour où les brutes ont débarquées…

J’ai passé un mois après cela à lui refaire chaque jour son bandage, à cause du coup de poignard qu’il avait ramassé. Il ne s’est jamais plein, pas une fois…

Pourtant c’est grâce à lui, et aux autres qui y étaient ce jour, que l’attention de certaines personnes a été attirée, et que par la suite Horias a été chassé des basses fosses avec sa bande…
»


L’acolyte avait toujours pensé que l’affaire en était venue aux oreilles du Chat de Gouttière et qu’il était intervenu en personne pour mettre fin aux agissements de l’usurier, qui portant bien son nom œuvrait à ruiner ses débiteurs pour les obliger à lui céder leurs biens. Tout le monde le savait, mais personne n’avait le pouvoir de s’opposer à cela. Personne sauf le Chat de Gouttière. L’idée était plutôt probable.

« Lorsque Sarah a accouché, l’hiver d’il y a deux ans, c’est Akim qui l’a passé dans la rue, au froid, parce qu’il lui donnait tout l’argent qu’il pouvait ramasser pour pouvoir se mettre et elle et sa petite à l’abri de la neige. Tous ici savons combien il a été courageux de faire ça. Il aurait pu en mourir, mais il disait lui-même qu’il préférait que ce soit lui plutôt qu’elles. Il aurait gelé pour leur venir en aide… »


Dans d’autres circonstances, une plaisanterie gentille aurait fait remarquer que le garçon courageux avait terminé l’hiver dans son lit à elle, lorsqu’elle l’avait recueilli à son tour en apprenant sa situation. Dans l’ambiance du moment, personne n’eut cette inconvenance. Ni elle ni lui n’avait pu convaincre les autres qu’ils n’avaient jamais été amants, au cours de cet hiver comme du reste de leur courte vie commune.

« Il avait le courage, il avait la générosité, tous ici lui devons quelque chose, que ce soit un service, que ce soit un plaisir, que ce soit un souvenir ou que ce soit la vie. Il était un véritable Frère… »


Ne se sentant de prononcer un mot de plus sans laisser ses sanglots l’envahir, elle préféra couper court à son hommage, et se rassit à sa place, s’encapuchonnant à nouveau pour pleurer sans que cela se remarque trop. Elle n’aimait pas qu’on la voit pleurer.
Une autre personne à sa suite se lever, pour prononcer la formule rituelle. Elle y répondit, de sa voix brisée par la tristesse. Un nouvel hommage débutait, et d’autres suivraient ensuite. Ce genre de moment pouvait durer jusqu’à l’aube, pour des personnes appréciées d’un grand nombre d’autres comme le défunt.


 
Hesmérine

Le Vayang 4 Astawir 1508 à 20h21

 
La soirée dura jusque tard dans la nuit, le temps que les nombreuses personnes qui le désiraient aient rendu hommage au défunt. Et puis sans que les gens s’en rendent vraiment compte, le silence retomba. Tout ce qu’il y avait eut à dire avait été dit, et les mémoires seraient marquées par ces souvenirs.
Alors la petite foule se dispersa, à la manière de truands au terme d’un coup juteux, pour éviter que l’on ne puisse les retrouver. Sans prononcer mot, chacun s’éloigna sur son chemin. Ceux qui partaient dans les même directions s’accompagnaient un moment, sans se parler, sans se connaître, puis lorsque venait le moment de bifurquer se quittaient sa plus d’effusions que parfois une tape sur l’épaule.
La botaniste eut la chance que certains empruntent le même chemin qu’elle, et elle n’eut pas à faire marche solitaire dans les ruelles, un tchaë trapu, plus que les canons de la race, l’ayant sans un mot raccompagnée jusqu’à la porte de la maison close où son amie devait l’attendre à jauger l’heure tardive.
Elle n’avait pas le souvenir d’avoir déjà croisé cet étrange être, mais sa présence était rassurante, car il semblait coriace, et comme pour tous les présents de ce soir, il était un allié provisoire, jusqu’au matin suivant au moins où chacun reprendrait la place qui était la sienne, malgré ce triste passé en commun.


Elle eut moins de mal à rentrer que la première fois de la journée, son hôtesse ayant sans doute passé le mot qu’elle reviendrait la voir en milieu de nuit. Il était très rare que des clients restent toute une nuit, car cela coûtait les yeux de la tête, mais lorsqu’il s’en présentait, ils étaient royalement accueillis. Elle n’osait se demander ce que son amie faisait pour obtenir la faveur de la loger à l’œil.
Le veilleur lui apprit que sa compagne l’attendait déjà depuis quelques temps, et qu’elle devait monter la rejoindre dans sa chambre. Elle ne fit pas attention à la remarque concernant le prix des heures de la nuit, qui devraient être payées même si elle était arrivée trop tard pour profiter de celles promises.
Lorsqu’elle pénétra dans la chambre, un étrange parfum de fleurs vint lui éveiller les sens, alors qu’elle se retrouvait dans un univers tamisé, rendu vivant uniquement par la lumière de quelques bougies à l’origine de l’odeur enivrante. Il semblait que son amie ait voulue lui rendre la nuit plus confortable. Elle la trouva allongée sur son lit, sous ses draps de satin. Elle semblait dormir, profondément. Elle souriait.
Respectant son repos, et considérant que sa soirée avait dû être plutôt fructueuse pour l’épuiser comme tel, elle se contenta de s’allonger sur le sol, au pied du lit. Elle ne voulait pas la réveiller en se glissant dans le lit, elle la savait avoir le sommeil léger. La sécurité importait ici plus que le confort.


La tchaë songea un moment durant à la situation dans les basses fasses, et à ses projets. Souvent il lui arrivait de passer des heures à réfléchir à cela, et elle en venait à la même conclusion chacune de ces fois. Il lui faudrait un jour ou l’autre prendre contact avec le Chat de Gouttière pour le séduire.
Sa réputation le présentait comme quelqu’un pour qui la Fraternité avait un sens, et qui n’hésitait pas à rendre service lorsque cela servait les intérêts des gens des basses fosses, certainement ainsi que les siens par la même occasion. Elle ignorait s’il pourrait être sensible à ses ambitions, à ses idées. Elle ne savait si en allant le trouver elle rencontrerait un allié ou bien un ennemi. Il était si mystérieux.
Tant de choses pouvaient être faites pour améliorer la vie des gens de ces quartiers. Et tant de ces choses pouvaient aussi servir les intérêts personnels de la pègre. Il devait exister un moyen de faire cause commune, un service en échange d’un autre. Trouver des appuis stables pouvait-être faisable.
Le lendemain, peut-être, elle irait se mettre en quête de l’étrange chef local. En faisait courir le bruit qu’elle voulait lui parler, peut-être pourrait-elle suffisamment attirer son attention pour qu’il se montre, ou tout au moins qu’il délègue cette tâche à l’un de ses complices, pour voir de quoi il retournait. Le lendemain, peut-être, elle s’attèlerait à cette tâche. Pour l’heure, elle voulait dormir, se reposer un peu.


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