***
Silith avait depuis longtemps déjà quitté le ciel.
Le rendez vous était donc décalé au lendemain et au prochain soleil.
Puisqu'ils avaient attendu jusque là et que la nuit avait pris le relais, les deux équilibriens restèrent à l'auberge.
Pour se reposer sans doute.

Et étudier ces symboles.
Du moins tels étaient les instructions de N'raa.
L'autre était de se laisser aller au sommeil.

Le nelda avait les yeux fermés.
Ce n'était peut être pas son intention.
Peut être avait-il trop tardé et usé ses yeux sur le recueil du Frère du Désordre.
Toujours est-il que la bougie s'était éteinte et qu'une voix lui souffla des mots indiscernable dans les oreilles.
Dans le noir, elle semblait inconnue et pourtant ni insidieuse, ni dangereuse. Comme un appel qui cherchait à le sortir d'un rêve. Peut être n'était ce qu'un rêve d'ailleurs, car même Laelieth ne l'entendit pas.

Sir N'raa?
***

*** Arrivé dans la chambre, N’raa déroula le parchemin, s’assit sur le bord du lit, Laelieth regardant par dessus son épaule. IL s’intéressait pour l’instant plus aux réactions de sa comparse qu’au document lui-même, il sentit le regard avisé aller et venir sur le document, il pouvait deviner les froncements de sourcils et la parfois la moue dubitative qui suivait. Au bout d’un moment, elle se redressa, glissa une main amicale sur son épaule en le contournant avant d’annoncer qu’elle allait faire sa toilette. N’raa sourit, il savait qu’elle avait déjà mémorisé l’essentiel du document.

« A tout à l’heure lui répondit-il ». Puis il se plongea avidement et cette foi entièrement dans les étranges symboles.
Etait-ce le pouvoir des symboles, son imagination ou autre chose ? Toujours est-il qu’a un moment, il n’était plus là. Enfin, si, mais comme dans un rêve avec le doute d’être encore dans la réalité….

Alors qu'il se demandait s'il rêvait qu'il rêvait, il entendit une voie inconnue l'appeler : ***

*** Il stoppa net, tout les sens aux aguets réels ou non, la question ne se posait plus. ***

***
Le nelda avait ouvert les yeux.
Et devant lui, un visage familier, même si il n'aurait pas su dire de qui il s'agissait.
Un jeune tchaë, avec un couvre-chef bien abimé. Dans l'obscurité, les détails s'effaçaient.
Sa voix chuchotait sur le ton de l'urgence.

Ah! Sir, vous m'entendez.
On m'envoie vous quérir.
'Faut qu'vous v'niez au plus vite.
Ya comme un problème de truc magique à démêler! ça peut pas attendre.

On m'a dit qu'si vous veniez pas tout d'suite, j'devais aller chercher d'autres personnes.
Mais vaut mieux qu'vous v'niez vite!

Pas l'temps pour vos affaires et les es'plications!

Le gamin regardait N'raa avec la plus grande insistance.
Cependant déjà prêt à partir au galop.
En fait, ce n'était pas le genre d'interlocuteur qui répondrait à des questions.
Cela se sentait.

Ni la 'dame d'ailleurs.
Vite!

Le temps de rien.
Juste se lever et le suivre.
Si une décision se prend en un quart de seconde, ce quart là arrivait au pied du lit pour N'raa
***

*** La voix se fait plus insistante. L’esprit d’N’raa hésite encore. A l’appel suivant il se décide : il ouvre les yeux.
Un jeune garçon, semblable à celui qui était venu les chercher la première fois pour les diriger vers Sieur Terenor -d’ailleurs serait-ce ?-est au pied du lit, dansant d’un pied sur l’autre, l’air agité


Il débite ensuite une série de mot tous marqués au fer rouge de l’urgence et qui coupent court à toute autre réflexion -à commencer par comment est-il entré-. N’raa devinait que cela avait un rapport avec Térenor.

Il faut partir tout de suite. Il écoute le bruit provenant de la pièce voisine dans laquelle Laelieth fait sa toilette.

Un instant d’hésitation ***

*** Il la préviendra par pensée en chemin. Il se lève, range rapidement les parchemins dans sa besace, bousculant légèrement son mou qui proteste mollement, attrape son baluchon et sa cape au passage et suit le jeune garçon qui a déjà tourné les talons, s’engouffrant dans le noir de l’escalier… ***

***
Par ici, Sir, par ici!

Grith fonça sans hésiter, ne se faisant aucun souci du nelda.
Après tout, il avait des grandes jambes et pouvait le rattraper assez aisément.
A la différence que N'raa venait à peine de sortir de ses songes, alors que le jeune tchaë avait l'air aussi frais qu'un gardon.
Il se faufila à travers la salle principale de l'auberge, attendit à peine devant la porte entre-ouverte, puis sortit dans la ruelle.

Dehors aussi il faisait noir.
L'espoir que Kvetha éclaira le ciel étoilé disparut très vite quand l'Equilibrien découvrit la brume qui s'était invité dans la Cité Fraternelle.
Loin très loin cependant, il put percevoir des reflets rougeâtres.
Une nuit d'agonie planait sur lui.
Mauvais présage?

Venez!

Un geste de la main pour l'appeler encore et encore.
Grith filait à toute allure sur ce chemin qu'il connaissait par coeur.
Sans doute que le Chercheur du Masque y perdrait un peu son sens de l'orientation.
L'affaire devait être véritablement urgente pour qu'on l'appelle ainsi en pleine nuit, au risque de se perdre dans la Pourpre.
D'autant que la Cité portait bien son nom cette nuit...

A travers les vapes grisonnantes, deux petites flammes diffusaient un peu de lumière.
Des torches devant un entrepôt d'où s'échappait du bruit et des gueulantes.
Le petit Grith pénétra à l'intérieur, laissant N'raa derrière.
Le plus beau guet-apens de l'histoire de Syfaria?
Non, cela n'en était pas un et puis il en faudrait beaucoup pour faire tomber un nelda symbiosé.
Cependant, si l'équilibrien commençait à douter que Terenor soit dans ce coup, ses doutes s'envolèrent en voyant l'ingénieur debout sur le plateau d'une charrette, donnant des ordres pour charger du matériel à quelques bonnes âmes nocturnes.
Des travailleurs de la Rouge ou des sociétaires passionnés?
Comment différenciait-on un tchaë d'un autre tchaë lorsqu'on avait passé sa vie à Syrinth?

C'est pourtant le regard d'un autre tchaë que croisa en premier N'raa à son arrivée.
A l'autre bout de l'entrepôt, accoudé à une poutre de bois.
Le seul qui ne participait pas à l'agitation.
Une cape noir et une pipe fumante.
***

*** Parfois les évènements s'emballent et celui ci en est un flagrant exemple. En quelques volées de marches, il sont sur le seuil puis dehors happés par le froid glacial de la nuit. Pas le temps de se frictionner, pas le temps d'envoyer une pensée à Laelieth pensa t-il, d'ailleurs rien qu'avec cette réflexion il ne voit pas le poteau devant lui. Il l'évite de justesse.

Il cherche du regard la fluette silhouette, ombre mouvante là bas, au coin de la rue, déjà. A coup de grandes enjambées Neldienne, il tente de rattraper son retard. A cet heure la plupart des Tchaës dorment mais les rares battisses encore éclairées engendrent des ombres et des danses fantasmagoriques sur les murs. N'raa avait l'impression d'avancer dans les boyaux d'un monstre endormi.

Son cerveau bâtissait des hypothèses et des raisonnements, il voulait des réponses, N'raa chassa tout cela, s'interdisant tout ce qui pourrait le distraire de cette étrange course.

Au bout d'un moment c'est son flair qui le guide. Il déboule face à ce qui ressemble à un entrepôt. Il aperçoit la silhouette de son guide qui semble l'attendre ou peut-être pas puisqu'il en franchit le seuil avant même que le Nelda soit à sa portée.

Un instant d'hésitation, il scrute la double porte puis la noire ouverture qui crache des petits éclairs de lumière jaune, du bruit à l'intérieur, des voix, des odeurs différentes : ils sont plusieurs là-dedans et ils s'activent à quelques travaux coordonnés.

L'instinct de conservation face à la curiosité scientifique : soudainement il se dirige droit vers la double porte qu'il franchit tous les sens en éveil s'en remettant à sa destinée.

A l'intérieur un groupe de Tchaë s'agite transportant divers objets sur une charrette. Un tour d'horizon pour découvrir les lieux et là dans le coin à droite, à moitié dans l'ombre d'une pile de caisse, accoudée sur l'une d'elle et couvert d'une cape noire qui se fond dans l'ombre ambiante, là précisément, il accroche un regard.

Deux yeux intenses qui le fixe et une bouche en feu. A la fumée grise qui monte en volutes compliquées il comprend qu'il s'agit d'une pipe.

N'raa se force à fixer à nouveau la charrette et sourit quand il voit Térènor planté tout en haut du chargement, distribuant les consignes aux autres Tchaës. Le Nelda pense faire un geste, signaler sa présence mais son regard est à nouveau attiré vers sa droite, vers cet étrange personnage qui n'a pas bougé d'un cheveux. ***

*** Il entend Térénor l'appeler. Enfin il se détache de cette sombre silhouette et porte le regard sur le chercheur juché sur la pile d'objet dans la charette.

C'est une invitation à monter, et tout de suite. Il lui passe brievement l'idée qu'il doit encore reporter le message pour Laelieth. Il espére qu'elle ne s'inquiéte pas avant de rassurer : elle pouvait elle-même lui envoyer une pensée

Il se tourne donc complétement vers le chariot et entame les premiers pas non sans avoir noté au passage que la silhouette qui l'intrigue tant s'est elle même mise à bouger, apparemment dans le même direction.

N'raa se força à ne pas se retourner, ll se trouva rapidement devant la charette tendant un bras pour qu'on l'aide à monter, observant au passage les objets entassés. Bientôt, de la haut, il pourra enfin voir qui est derrière cette capuche. ***

*** N'raa grimpe dans la charette qui emet un petit grincement réprobateur, il regarde par terre se frayant un chemin au milieu des objets arimés, vers les bancs latéraux destinés au voyageurs.

Térenor, debout, l'acceuille avec son habituel air préoccupé. Il l'invite à s'assoier tout en l'interrogeant pour savoir si N'raa avait fait "ses devoirs". Le Nelda laisse glisser cette expression un peu condescendante et scrute la réaction de l'autre passager pour constater à travers sa passivité qu'il doit lui aussi être habitué à cette manière de communiquer, ou alors il est très poli. Il le salue d'un signe de tête.

Tout en s'asseyant -provoquant un nouveau grincement de la charette-, n'raa répondit d'une voie neutre : ***

*** Pas sûr cependant que Térenor l'écoutait : il tournait déja le dos, occupé à ranger quelques objets en dessous des bancs.

Puis il porta son regard sur l'ombre noire qui prend maintenant l'apparence d'un Tchaë tout en cape, à la demarche vive et sûre, un regard et une expression qu'il connait bien : le regard des grands voyageurs et homme de terrain à la vie dure. L'ombre noire se dirige vers l'avant de la charette et le siége conducteur apparemment. Alors qu'il s'installe N'raa entend son voision se présenter. A contre-coeur, le nelda stopa l'observation de l'ombre noire et regarda son interlocuteur : un nom difficilement prononcable mais le Tchae¨pris la peine d'expliquer que cela correspondait au titre de "Mage Saphirique"

Il acquiessa par un hochement de tête et allait se présenter aussi quand le conducteur lanca un mot qu'il ne connaissait pas, et la charette se mit en route avec un hoquet silencieux. ***

***
Cela chuchotait devant. A peine.
Terenor à coté, observait la route. Cela dura tout le chemin.
Jusqu'à ce que...



Une Epine dans la Brume.

Une immense ombre supplanta toutes les autres et cachait le paysage obscur.
En réalité, au moment où la charrette s'arrêta, l'Ombre était le Paysage.
Dissimulée derrière un rideau grisâtre.

Le Noiraud et le Mage Saphirique descendirent.
Puis entreprirent de décharger quelques affaires.
Le reste semblait destiné à y rester, pour l'instant.

Dans ce même silence, l'ingénieur symbiosé rejoignit des escaliers.
Comme l'entrée de l'édifice.
De son regard, il inspectait les lieux.
***

*** Ils s'enfoncérent, la charette et tout son équipage, dans une brume plus épaisse qui les enveloppaient comme un linceul cotoneux. Ils avancérent dans ce néant gris un temps indeterminé. N'raa concentra son esprit pour envoyer un message bref mais rassurant à Laelieth, puis s'abandonna aux mouvements chaotiques du véhicule.

Un moment la charette stoppe. Personne ne s'en étonne et chacun semble avoir une tâche bien précise à faire. N'raa les regarde s'affairer et son regard accroche la chose.

Là plus loin, devant la charette, à quelques pieds de distance il y a quelque chose d'étrange dans ce coin de paysage.

Un instant sa vue est cachée par le dos de Térènor qui file droit vers l'étrange phénomène. Il remarque maintentant un début d'escalier qui se perd dans la brume qui n'est pas la brume. N'raa se léve prestement et d'un bond il a les deux pieds au sol et rejoind le petit groupe qui s'agglutine pour probablement rejoindre l'ingénieur. ***

*** Il a beau suivre le mouvement, pour l'instant les autres intervenants l'intéresse peu, et c'est pour cela que le geste discret de Terenor ne lui échappe pas : il comprend une invitation à venir le rejoindre sur la naissance des escaliers. N'raa ne cherche pas plus loin, le regard droit, il force l'allure vers les discrétes marches et l'étrange lueur. La silhuouette fantomatique du chercheur se fait plus nette pas après pas, ce dernier semble plus enthouisate qu'à l'habitude.

En s'approchant, le nelda voit une masse sombre et élancée se dégager, cette sihouette familiére et pourtant terrible lui inspire le respect, il est presque sur que... un pilier ! Mais il est déja à porter d'oreille de Terenor et comme s'il pouvait deviner ses pensées il lui glissa dans le lobe : ***

*** Et dans ces instants ou les mots semblent ne pas avoir leurs places, choses incongrues, il se contenta de dire : ***

*** Le regard plongé vers le haut des marches qui persistaient à ne pas vouloir se dévoiler, pas encore. Le pied posé sur la marche suivante, tous les sens à l'affut, il n'attend que le signal. ***