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Le Luang 14 Jayar 1510 à 16h11
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| Accolés à la muraille est, les larges entrepôts qui habitent maintenant la bulle noire fourmillent d'une activité ralentie. Entre deux quarts de service, les soldats rentrent et sortent des larges bâtisses, peintes à la va-vite des emblèmes des principaux corps d'armée de la Fraternité.
La plupart ont grise mine. Non parce qu'ils sont nombreux à avoir perdu leur toit, et la ville qui les a vus naître. Non plus parce que, en lieu du confort de leur caserne, ils ont du accepter la frugalité d'entrepôts presque vides malgré les efforts des manutentionnaires rouges. Mais surtout parce que l'inaction relative suivant les semaines de frénésie qui ont accompagné leur exil forcé a participé à la perte de repères : malgré la reprise du travail, la surveillance des villages, les escortes de convoi, beaucoup avaient du trouver dans ce temps-là un nouveau toit pour leur famille. Les officiers, eux-mêmes, semblaient touchés par le désarroi de la fuite, et fermaient plus souvent les yeux sur les parties de jeux de hasard et les petites beuveries improvisés qui apportaient leur lot de consolation à la piétaille.
Non loin de la grand-porte, un vieil établissement avait été dépoussiéré et aménagé pour accueillir le sombre chef des armées.
A l'étage, celui-ci se trouvait installé dans un large fauteuil d'osier qui ployait sous son poids et craquait à chacun de ses mouvements. En attendant la venue de son Diplomate, il compulsait sans conviction un ouvrage militaire.
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Le Merakih 16 Jayar 1510 à 12h13
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| Krondor claqua le livre en le refermant, et le posa sur sa petite étude, où étaient entassées non sans un certain ordre plusieurs cartes des environs de Farnya. Il se leva ensuite de son siège, pour gagner un austère tabouret posé devant la grande table de ses appartements.
D'un signe de main, il invita son porte-parole à s'asseoir en face de lui, dans un petit fauteuil de velours.
Repos.
J'ai toujours du temps à accorder à mes soldats. Si je ne le fais pas pour l'état-major...
Asseyez-vous. J'ai dit aux cuisiniers de nous faire apporter le repas ici. Lapin grillé, à ce que j'ai entendu.
Le Général avait quitté ses habits de fonction pour une veste longue bleu marine, ce qui sur lui semblait presque trop coloré. Il semblait reposé et dispos. De fait, c'était calculé : il se doutait bien que Thosen Noril ne viendrait pas lui parler boulot.
Eh bien, nous pouvons discuter de la raison de votre venue, si vous le voulez.
Il fit tinter une petite sonnette. Un laquais vint leur apporter deux gobelet et un pichet de vin. Il les servit tous deux.
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Le Julung 17 Jayar 1510 à 04h20
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| S'il en fut un instant gêné, Thosen n'en laissa rien paraître et s'assit rapidement dans le petit fauteuil.
Une gorgée du vin... un vin d'Oriandre, aux vignes ayant poussé sur les versants gorgés de soleil des montagnes entourant ce qui fut la cité noire. Pas facile comme mise en bouche finalement... Il devrait essayer de s'en dénicher quelques bouteilles.
Cette courte réflexion en emmena une autre. Il avait décidé de se lancer bille en tête, mais sans préambule cela pourrait être un peu brutal... Bah, la décision finale de Krondor y serait imperméable. Inutile.
Oui Général, excusez-moi de ne pas vous l'avoir dit par pensée, je suis venu vous annoncer que je suis avec, et aime, une jeune tchaë symbiosée qui n'est pas une Sœur du Désordre.
Une pause. 1.2.
Je sais que cet état de fait peut éventuellement me porter préjudice, à l'aune de mes responsabilités auprès de la bulle noire. J'en assumerais donc les conséquences mon Général.
C'était fait. Il y a deux ans, sur cette plage de Lerth, la jeune propage entre ses bras, Thanakis lui avait expliqué d'une pensée qu'elle ne s'offusquerait pas si son diplomate lui révélait cela, qu'Ethan le ferait probablement mais qu'elle ne devinait pas la réaction de Krondor. Une incertitude qui l'avait conduit à prendre quelques précautions. A présent surement rendues inutiles un jour ou l'autre, et dangereuses alors très probablement. Au moins, là, il serait fixé... ou "remercié" d'ailleurs.
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Le Dhiwara 20 Jayar 1510 à 17h50
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| Bien.
Krondor avait établi ses calculs. Pris sa décision, comme toujours rapidement. De façon presque impulsive.
Je n'ai que faire de votre vie privée, Diplomate. Que vous puissiez trouver bonheur chez une Témoin -j'ai beau être martial, je n'en suis pas aveugle, plutôt qu'auprès d'une sœur de chez nous.
Ce qui me concerne, c'est la façon dont cela ternit vos fonctions et votre image auprès de nos frères...
Je choisis donc...
Mouvement presque imperceptible à la commissure de ses lèvres.
... De ne pas reprendre vos insignes. Je reste assez ... lucide pour savoir que certains sentiments ne se commandent pas. Et, de toutes les manières, vous n'êtes pas remplaçable.
Mais tout a un prix. Vous avez fait vos choix, vous devez les assumer. Je vous interdis de fréquenter cette Propage aux yeux de tous. Vous vous cacherez, tant que vous serez Diplomate de la Noire. L'union officielle sera, de fait, une idée que vous oublierez d'office -pour peu que nos lois aient jamais considéré ceci, et je vais considérer que cette conversation n'a jamais eu lieu.
Ces conditions vous satisfont-elles, Commandant ?
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Le Matal 22 Jayar 1510 à 01h26
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| Le respect qu'il portait à ses responsabilités n'avait rien d'anodin pour Thosen. Son amour pour Nelle rien d'une lubie passagère.
Aussi lorsque Krondor parla de ternir sa fonction, puis eu cet instant de suspens presque joueur, le petit tchaë s'enfonça dans le fauteuil, dévisagea longuement son supérieur avant de prendre la parole.
Oui mon Général. Je comprends votre attachement à l'image que votre voix peut projeter, je compte assumer mes responsabilités et j'accomplirais, comme à chaque fois, votre volonté si vous m'ordonnez de cacher ma relation avec Nelle.
Néanmoins, ce que je réussissais à faire dans une Oriandre de cinq mille Frères mais assez vaste pour en accueillir cinquante mille sera plus complexe dans notre Farnya plus densément peuplée. La cité n'a pas non plus la même répartition chromatique, ni la même relative tranquillité.
Indépendamment de cela, cette non-Soeur est aussi proche de plusieurs des nôtres, souvent présente dans la cité Rouge et a accompli de nombreux hauts faits, notamment sauver notre monde dans le néant et être à la pointe de la lutte contre le Tark'nal. Son nom est connu de tous, ou presque.
Elle se sent en plus un certain nombre d'affinités avec notre culture, notre peuple et travaille souvent de concert avec nos scientifiques les plus illustres. Elle est, sans commune comparaison, l'étrangère la plus proche de la Fraternité.
Nos efforts pour cacher cette relation vont donc être, comme auparavant, très conséquents et méticuleux, mais risquent de se révéler insuffisants à long terme.
C'est bien là aussi l'une des raisons qui m'ont amené devant vous mon Général.
Impassible.
Si la chose venait à se savoir, que mes fonctions se trouvaient effectivement ternies auprès de certains Frères, que l'image renvoyée ne vous convenait plus et que cette conversation n'a jamais eu lieu, à quoi dois-je m'attendre mon Général ?
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Le Matal 22 Jayar 1510 à 05h39
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| Le chef militaire avait commencé à pencher la tête de côté aux premières réparties de son diplomate. Signe d'agacement, vraisemblablement.
Il balaya des yeux le mur derrière son interlocuteur, puis fit tinter de nouveau la petite sonnette.
Nous sommes prêts à diner.
Une assertion qui tenait lieu d'ordre, comme il avait l'habitude de les énoncer. Il se resservit un verre de vin, puis répondit à Thosen.
Entendez-moi bien, Commandant. Vous ne menez pas ici, avec moi, une négociation semblable à celles pour quoi je vous commandite.
Je sais les raisons qui vous amènent devant moi. Et l'une d'elles est que vous êtes de ceux qui se dévouent pour la Fraternité. Le bien du Désordre, au détriment du bien d'un seul. Ce que je vous concède n'a jamais été concédé à d'autres ; peu importent les temps et les manières, ou les bonnes intentions de votre compagne -que je vous prierai par ailleurs de ne pas essayer de me ... vendre.
Le fait que je ferme les yeux, et qu'un autre membre du gouvernement le fasse, vous assure une couverture plus que confortable. Bien entendu, les ragots que votre relation engendrera ne seront pas nuls ou endigués.
Bah...
Les yeux de Krondor se perdirent dans le vague.
Je ne requiert rien d'impossible, rien que du précautionneux. Quant à votre dernière question, cessons la rhétorique, vous en connaissez la réponse. Si vous êtes publiquement mis à mal pour vos décisions, vous en assumerez les conséquences. Quelles qu'elles soient. Vous serez assez fin pour les accepter.
C'est tout.
Le laquais revint avec deux popotes servies dans des assiettes de buis. L'apparence frugale du repas était sans conteste un petit caprice du Général, qui ne se retint pas pour autant de commencer de le dévorer avec appétit.
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Le Matal 6 Julantir 1510 à 12h34
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| Le Général repoussa son plat vide. Seuls restaient quelques os.
Pensez-vous que la symbiose est responsable de votre ... ouverture à l'étranger, qui dépasse celle d'un simple diplomate ?
Il n'y avait nulle malice dans cette question, Krondor restait impassible, comme toujours.
En ce qui me concerne, la symbiose a tout et rien changé. Je m'étais déjà hissé à la position que j'occupe aujourd'hui, le hasard a simplement très bien fait les choses.
Je vois la symbiose comme un avantage militaire ; vous avez constaté mon désir de constituer un état-major de symbiosés. La donne est simple : une armée télépathe et résistante est une meilleure armée. Je déplore simplement que nos soldats ne voient pas les choses de cette façon : peut-être est-ce dû au fait que la symbiose soit un évènement récent, mais j'ai la nette impression qu'elle les rend individualistes et inconscients, au lieu de faire de la Noire une machine implacable aux rouages puissants et ... bien huilés.
Il se siffla son verre de vin cul-sec.
Je ne crache pas dessus, pour autant. Même si nous n'avons pas pu sauver Oriandre, nous avons accompli des choses qui tiennent du fabuleux.
Vous, notamment, Thosen. Je ne regrette pas d'avoir placé ma confiance en vous. Même si ce que vous m'annoncez aujourd'hui me déçoit quelque peu.
Le Général n'avait pas pour habitude de s'adresser nominativement à ses subordonnés. Peut-être était-ce dû au caractère peu formel de la rencontre. Ou au vin.
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Le Dhiwara 11 Julantir 1510 à 16h57
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| Je vous remercie mon Général.
Ah... c'était la première fois en trois ans de service que Krondor usait directement de son prénom. Intriguant.
Ne pouvant se hasarder à commenter la déception de son supérieur sans revenir au sujet sur lequel il n'y avait donc pas discussion, le tchaë poursuivit presque naturellement.
Pour ce qui est de la symbiose... et bien mon ouverture à l'étranger ne dépasse pas de beaucoup celle d'un simple diplomate il me semble mon Général, à une grande exception près donc en effet .
Maintenant cette ouverture à une étrangère est-elle liée à mon statut de symbiosé ? Très certainement oui. Sans un mou, un diplomate n'aurait pas voyagé avec autant de facilité d'un bout à l'autre de l'île, n'aurait pas considéré Lerth, Zarlif ou Arameth comme étant à moins de deux semaines de Farnya, n'aurait peut être pas participé au concile de la scintillante deux ans plus tôt, ni survécu à une mort en essayant d'attraper Mattlock il y a dix-huit mois. Il n'aurait pas combattu aux cotés d'une étrangère à plusieurs reprises, ni pu entretenir le contact en dépit de la distance les séparant.
Une pause.
Quelque part... la symbiose dédouane d'un certain conformisme et est certainement la cause de l'individualisme des nôtres. Je pense mon Général qu'elle donne davantage de légèreté sur des sujets graves, même si ce n'est pas toujours un mal.
Mais elle donne plus de responsabilités aussi,c'est elle qui est au première loge sur tout les combats vitaux pour notre survie depuis quelques années, que ce soit la sécurité de nos routes ou des événements plus globaux, et en cela rapproche en effet les poussiéreux puisqu'ils ont davantage l'habitude de combattre ensemble, se voient un avenir sombre commun s'ils ne joignent pas leurs force et en viennent à se considérer avec respect.
Lorsque le Prince nous expliquait que ma prise politique de Farnya mettrait en doute ma pleine concentration sur les menaces réelles qui pèsent sur la Fraternité, qu'il insistait sur le fait que celles ci étaient quelque part assez de mon ressort, il y a peu de doutes que parallèlement dans son esprit, la symbiose est aussi synonyme de responsabilités qui dépassent de même celles d'un simple diplomate.
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Le Vayang 23 Julantir 1510 à 18h40
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| Krondor fit claquer sa langue sur son palais.
Nous nous entendons, Commandant. La symbiose est tout à la fois la raison qui vous vaut le siège que vous occupez actuellement, celle qui le menace, et celle qui fait que vous le conserverez malgré tout. Il n'y a pas que cela, bien entendu. Vous savez comment je vous considère, et le genre d'éloge que j'ai adressé au Roi pour soutenir votre candidature.
Vous restez un individu, avant d'être un symbiosé. L'anticonformisme que vous mentionnez existe, mais il n'est pas loi. Il fait que je peux ne plus m'étonner d'entendre des gradés noirs prôner l'ouverture à l'étranger, et plus seulement des bleus. A la limite. Mais nombre de symbiosés agissent maintenant comme ils l'ont toujours fait.
Son regard se perdit dans le vide.
La symbiose ne leur accorde pas plus d'intelligence militaire ; et leur intérêt propre -avancement hiérarchique, biens à posséder, passe toujours avant l'intérêt de la Fraternité, voire de tout Syfaria. Cela s'étend aux autres bulles, très certainement. Vous faites aussi le choix de dépasser parfois votre rôle de diplomate. C'est louable, et ni moi-même, ni aucun membre du gouvernement n'a à discuter ce fait.
Il ajouta, avec un demi-sourire.
Et j'espère malgré tout que cette peine vous apporte des contreparties ... agréables.
Il fit demander à ce qu'on débarrasse la table.
Y a t-il un autre sujet dont vous souhaiteriez discuter ? J'ai encore un moment à vous accorder, avant d'aller passer les troupes en revue.
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