Elle attend trente petites secondes. Non. Le silence est revenu, il ne semble pas avoir rebroussé chemin.
Elle roule et sort de sa cachette.
Aïe... Elle était toute courbaturée. Comme un chat, elle s'étire et se masse le cou.
Un soupir. Bon...
Son capuchon est rabattu, si il advenait qu'elle fut surprise, elle, elle... EUH. Elle improviserait, hein?
Bon. Voilà qui ne faisait pas ses affaires... Elle aurait aimé le voir, mais, tout compte fait, après s'être joyeusement fichu d'elle, elle serait ressortie sans réponse à ses propres questions, mais à d'autres qu'elle ne s'était pas posée.
C'est comme ça qu'elle avait avancé au début, elle ne remettait pas du tout en cause le bien de la chose. Mais aujourd'hui, elle voulait des réponses à ses propres questions. Mais, après les dernières nouvelles, elle croyait peu en la coopération du Poète-entropiste-trafiquant de chair fraiche potentiel-séducteur invétéré-magouilleur-ami de la Shaïm- Blabla.
Et à la réflexion, elle transgressait là, un petit peu - non beaucoup, tout ce qu'on lui avait appris... Le code des Ombres et tout ça... Bon... On n'allait pas perdre plus de temps ici, on allait commencer à réfléchir et on allait se barrer... illico presto.
Mais avant tout, le mot d'Arsille. Le bruler, le détruire, pour ne pas qu'il puisse...
Elle fit un pas. Elle s'étala. Se retint de ses paumes, genoux tendus pour ne surtout pas faire trop de bruit.
Oui, à force de regarder partout, stressée, elle n'avait pas vu à ses pieds le sac, maintenant posé du tydale... Tout son contenu s'était répandu sur le sol.
Kiavè dit :Boulette...
***télépathie***
Vas au S'sarkh.
De la paperasse volante, un recueil de poésie confrère, quelques feuillets de parchemin...
Bienbienbien... Bon, ben, il fallait tout ranger maintenant...
Elle prit le recueil de poésie confrère... Pour confrère. Le rabaän sonnait-il mieux que le shaï pour la poésie?
Temia en doutait.
Cependant, les confrères étaient peut-être un peuple plus... Libre? Libres comme le vent? à se balader sur tout Syfaria, certes pour le bien de leur marché, mais libres et rebelles contre l'ordre établi? Dame, S'sarkh, etc...
Comment le Poète avait-il transmis sa libre pensée dans la langue de la déesse?
La Tchaë jeta un regard en biais vers la porte. Personne ne semblait venir.
Elle prit une feuille sur laquelle étaient gravés les caractères harmoniques de la langue de la Dame Grise. Elle lut :
«
Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants. C’est ce qu’on m’avait dit une fois. Je ne puis que le confirmer aujourd’hui. Comme ils sont loin ces rires insouciants. Comme ils me semblent éloignés.
Et pourtant si proches.
J’ai croisé hier un souvenir. Surgit de ce passé que je croyais oublié. Je lève les yeux du papier et il me semble me revoir, tel que j’étais il y a si longtemps. Un adolescent distant et joueur, à la parole aussi facile que la fuite en avant. Longtemps ? J’avais quinze ans je crois et il me semble lire dans mon regard une touche d’un je-ne-sais quoi qui me flanque le bourdon. Etait-ce de la solitude ? Un appel à l’aide. A travers les années qui nous séparent, je mesure désormais la distance parcourue depuis cette époque.
Je ne savais pas autrefois qu’il existait autre chose que ces murs blancs dans lequel j’étais enfermé. Je ne pouvais qu’en rêver.
A l’époque j’avais parmi mes connaissances un garçon plus jeune que moi qui m’admirait je crois. De lui je me rappelle surtout une naïveté consternante et une bonne volonté tout aussi surprenante. Le genre de personne dont la candeur attendrie tout autant qu’elle afflige. Je l’avais oublié. Il était retourné comme toutes ces ombres dans les recoins de ma mémoire. Pour aujourd’hui en ressortir, vivant rappel des jours anciens.
Le Moineau a bien changé. Ses traits sont désormais ceux d’un homme et parmi les plus fins qu’il m’ai été donné de voir. Mentirais je si je dits que ses lèvres ont un gout de peche et la douceur d’un fruit qui n’a jamais été mordillé encore ? Non, certes pas. Et pourtant… et pourtant il est encore le petit garçon du Harem. Il serait si facile de le manipuler, de n’en faire qu’une marionnette, pantin dont on a coupé les fils. Son innocence me fait craindre pour lui, vivant appel à la luxure. Il ne m’aurait pas fallu beaucoup d’efforts pour le compromettre, un peu de perfidie aurait suffi. Mais je m’estime trop pour cela. Eska’Oach n’est qu’un enfant dans un corps d’adulte. Aussi tentant soit le fruit, il est encore vert et j’ai trop d’orgueil pour y jeter mon dévolu.
Les étoiles sont tombées hier.
Le tarknal n’est plus. Les confrères l’ont sacrifié devant leur cité. Et pourtant, les étoiles sont tombées hier. Le ciel a pleuré des trainées dorées et ses larmes se sont mêlées à la poussière ou ont rejoint le grand océan.
Heltair ne va pas tarder à revenir auprès des deux tydales de sa vie, sa femme et sa fille. J’espère, juste pour le principe, qu’il découvrira rapidement le nouveau jeu de Serra. Hors de question que je sois le seul à bénéficier d’un traitement de faveur. Il n’avait pas l’air convaincu quand je lui ai expliqué que sa fille avait une sacrée poigne… surtout quand il s’agit de mes cheveux. Elle me rendra chauve. Ou chèvre.
Ce cher Kve a décidé d’aller prendre des vacances à la Maison des Dames. Apres la réception du nerhe des vents, il a jugé qu’il méritait largement cette petite pause… J’irais lui passer le bonjour un de ces matins. Il pourrait s’ennuyer tout seul… On ne sait jamais… c’est pour son bien… Non ? Ah bon…
Je partirais demain matin pour le lieu qu’on appelle ‘Le puits des Souvenirs’. Peut-être y trouverais-je la clé de l’énigme. Ou du moins la paix, car c’est en mémoire des joyaux qui sont tombés que je m’y rends.
»
Les deux yeux verts de la Tchaë se relevèrent, pensifs... C'était avant, avant sa symbiose... Elle arrivait à Syrinth quand eut lieu la pluie d'étoiles. Les sentiments que cette feuille de papier propageait étaient étranges. A la fois du malaise... et à la fois comme un brasier qui réchauffe le coeur. Ce n'était pas un poème... C'était un témoignage... Le témoignage d'un autre monde, d'une autre tête, d'un être humain, comme elle, le kielno Silindë. Qui était ces riemtos. Eska'oach, Kvethan... Et le Tark'nal...
Et Heltaïr... Quel était le lien qui unissait le preux du Crépuscule et Silindë?
Temia se redressa et regarda à nouveau vers la porte. Toujours personne? Bon, alors...
Il était le temps de lever le camp.
Elle baissa les yeux et ramassa les autres...
Attends...
Cette ligne là, qui dépassait du rouleau...
*** ...Qu’est-ce que Maarbia. Ses prophètes manipulent les possibles, les utilisent pour les plier à leur grés. Ils jouent ainsi avec la réalité. A cœur vaillant rien d’impossible aussi ils sont ses meilleurs jouets... ***
Elle détourne les yeux, comme confrontée à une incohérence énorme en secouant la tête. Et là les yeux croisent un nom qu'ils n'auraient jamais dû remarquer... Un nom et une mention :
*** Le roi est mort. Vive le roi.
Adieu Mirgahal.
***
Froid, Glace, Chaos, fuite
La Tchaë se relève, elle a le vertige... Temia, l'Ombre, la fille des terriers, la Grise, Mia, trop de choses, trop de pensées sont mobilisées à la fois. Il y a des informations, là... Ô bonne Dame ! Ô bonne Dame!!! Mais qu'est-ce que tu es Silindë? Qu'est-ce que tu as fait? Qu'est-ce que c'est que ces pensées, ces somptueuses et horribles lignes, ce cauchemar éveillé aux allures de rêves?
Des pas ; on venait. Elle avait mis du temps à lire chaque ligne du premier texte. Trop.Temia se relève, titube. Plus le temps... Bon sang, bon sang...
Elle court prendre une chaise prêt de la table et va la fixer juste à temps contre la poignée, bloquant l'entrée.
Eclats de voix ou pas éclats de voix, elle court. C'est mauvais, elle perd son calme. Elle embarque tout, parchemins, recueil de poésies confrères, elle met tout dans le sac.
Elle le ferme bien, le place en bandouillère, et, pourvu qu'ils ne rentrent pas... Ça se fait pressent à la porte. Elle se hisse sur le lit, ouvre la lucarne, lance le sac, et se hisse à sa suite sur le toit, toute tremblante d'émotions.
Des réponses trop de réponses.
Un dernier regard. La coupe la dévisage insolemment :
"Tu boiras... Et ce, jusqu'à la dernière goutte."
Secouant la tête, elle s'enfuit sans prendre le temps de refermer la lucarne, le sac sur le dos.
Elle en avait oublié le pli, abandonné toujours à la même position sur la table.
Digne ou indigne,ma vie est ma matière, ma matière est ma vie.