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Le Luang 15 Otalir 1512 à 23h01
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Les baillis d'Arameth ne sont pas réputés pour leur tact.
Une escouade de huit arrive sur les lieux,
escortant le Grand Chambellan du Poinçon.
Lourds en plates clinquantes,
juchés sur de solides montures,
blasons au champ de gueules du Caravansérail.
ÉCARTEZ-VOUS TOUS! LIBÉREZ LA RUE!
Un symbiosé qui dérape mérite toujours un traitement exemplaire.
Ce fut le cas pour Takeon Cumulos,
jadis.
Aujourd'hui,
pour son plus grand malheur,
Morkreek est au centre de toutes les attentions.
...
Le Grand Chambellan,
en personne,
le contacte.
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Le Luang 15 Otalir 1512 à 23h18
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| Je me dis que j'ai peut-être fait une bêtise. Déambulant avec l'artiste sur la place principale, quelle ne fut pas ma surprise d'être bousculé avec une grande masse noire. Mais je reconnais ce genre de contacts physiques, je travaille assez dans les bas quartiers et le Dédale pour être un fournisseur de pierres à tous les tire-laines. Malgré moi.
J'ai sûrement fait une boulette. Certes nous sommes tous confrères, certes me voler quelques maigres possessions ne vaut pas le coup d'envenimer les choses, certes il est grand, il est costaud, il bave mais bon, quand même. Décidé, mais fidèle à moi-même, obéissant à des idées de justice peut-être un peu trop zélées pour un confrère, je contacte peut-être une des personnes les plus redoutées d'Arameth. Je constate que je ne suis pas le seul lésé. Arrêter les choses avant que ça ne dégénère. J'essaye, le plus maladroitement du monde, de l'arrêter mais qu'est-ce qu'un grand dadais cuisinier peut faire contre un individu indubitablement rôdé à ce genre de situations.
Totalement, j'ai fait une connerie. Il arrache un pavé et me vise. Mal. Mais l'idée est là. Les canines retroussées aussi. Le couteau aussi. Réflexe idiot, je ne quitte pas Agliacci, porte la main à la fauchelame et fais confiance à l'armure. Juste au cas où. Ca serait la première fois que je devrai en faire usage. Ca serait une violation de la quasi totalité de mes principes mais je n'ai pas beaucoup d'alternatives.
Le Grand Chambellan arrive. Un frisson me parcoure l'échine, monte puis redescend le long de la colonne vertébrale.
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Le Matal 16 Otalir 1512 à 18h56
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| C’était bien la peine de suggérer un atelier art de rue. Après avoir finalement réussi à entraîner le timide Ordinant pour lui servir de cobaye dans sa pratique (« Tu verras, c’est juste un petit tour de prestitigidation, avec des boîtes et des chaînes, rien de bien méchant, tu ne crains rien, encore un verre ? ») et dissimulant la plupart de ses outils les plus compromettants dans un sac qu’elle prend soin de garder hors de la vue d’Hohen,Agliacci en était à tapoter gaiement du pied sur les pavés de la large place, la mine ravie et ravissante au contact épidermique de la foule araméthéenne. Occupée à déterminer comment commencer son numéro, elle n’avait pas du tout prévu que cette fois, elle participerait plutôt du spectacle d’un autre.
En l’occurrence, de celui de Morkreek.
Faire partie du spectacle d’un nelda noir faisant presque deux fois sa taille et à tendances nettement psychotiques, disons-le clairement, ça ne fait pas partie de ses plus grandes ambitions. A fortiori quand son ancien compagnon de beuverie tente de dérober discrètement l’énorme bâton à deux mains que son ami Hohen porte accroché au dos. Atterée, Agliacci, qui n’a pas vu le sombre nelda depuis plusieurs mois, le voit ressurgir de nulle part, s’accaparer d’un morceau de bois comme il l’aurait fait d’un collier de diamants bruts, et s’enfuir, partagé entre le rire sadique et l’hurlement. Plus absurde encore, Hohen dégaine une Fauchelame (arme avec laquelle elle croit se souvenir avoir vu le tydale s’entailler les orteils quelques jours plus tôt, et qui se trouve bien trop près de son nez à son goût) et prend courageusement la place de protecteur en l’écartant du dangereux voleur.
La Luthière tente une brève plaisanterie à l’égard de Morkreek, qui est après tout peut-être en train de leur faire une blague, ce vieux bougre de nelda ! On ira boire un verre ensemble, et tout s’arrangera, c’est ce que crie sa jolie figure pleine d’optimisme. En réponse, ce dernier lance un pavé dans leur direction.
Lance. Un. Pavé.
Ses yeux vairons s’écarquillent. C’est la révolution dans les rues d’Arameth ! Certes, toute la communauté des ingénieurs locaux s’accordent à dire qu’il faudrait dépenser quelques fonds publics pour arranger le sol de la grande place, lieu-dit des plus historiques, au lieu de les dépenser pour nourrir ces casse-pieds de Luthiers…mais enfin, quand même, elle ne s’attendait pas à ce que l’opération soit si facile.
Les choses empirent nettement lorsque Kalim Einashal lui-même fait une apparition. Avant même de se retourner, Agliacci est presque sûre que ça ne peut être que lui : la troupe de Gardes Pourpres qui le suivent ont la discrètion et la douceur emblématique du Grand Chambellan. Des chevaux ? Des armures lourdes ? Elle espère que quelques francs-tireurs à la course plus aisée se cachent quelque part, et peste contre tous les mâles de la Confrérie qui semblent avoir passé un pacte secret pour la mettre dans des situations embarassantes.
L’artiste serre son maigre sac de magicienne de rue contre elle et maudit Morkreek sur cent-vingt neuf générations, avant d’entreprendre de sautiller nerveusement d’un pied sur l’autre. Un autre pavé est descellé du sol, et la jeune tydale tente, dans une bouffée d’espoir absurde :
« Mais enfin, la valeur historique d’Arameth… », mais ses paroles semblent se perdre entre deux cliquetis d’armure. « Il était vraiment important, ce bout de bois ? Je veux dire, nécessaire ? »
L’artiste fait mine de s’écarter timidement de la trajectoire d’un garde un peu plus pressant que les autres, mais suspend son geste en plein acte.
Peut-être qu’elle vient de trouver là une entrée en scène tout à fait dramatique pour son petit spectacle, après tout…
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Vayang 19 Otalir 1512 à 22h04
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Confrontés aux guignolades de Morkreek,
les gardes restent de marbre.
A celui qui voudra bien les dévisager,
il sera donné de lire un brin de tristesse,
beaucoup de mépris,
et pas mal de fermeté.
Les écarts de conduite des symbiosés
sont de plus en plus mal accueillis par la population.
Il y a de la rancoeur chez ces gens ordinaires.
Une rancoeur ordinaire,
fondamentale.
Grand Chambellan,
il faut immédiatement procéder à l'arrestation de ce symbiosé.
Dois-je donner l'ordre ?
Kalim Einashal regarde son capitaine,
puis détaille le nelda insane.
Combien de symbiosés ont sombré,
purement et simplement,
dans la folie.
Conduire en prison celui-ci,
c'est le condamner.
Pourtant,
il faut faire un exemple.
Alors,
pour la sauvegarde de l'ordre,
Le Grand Chambellan condamne durement.
Faites.
Durement,
la poigne de la justice se referme sur Morkreek.
Ce dernier est battu, enchaîné, traîné,
sans que rien ne puisse le sauver.
Il est conduit en prison,
escorté par les baillis.
Si vous souhaitez récupérer vos effets volés,
ou témoigner de ce qui s'est produit ici,
vous devrez nous suivre au Caravansérail...
***
Morkreek est jeté en prison. Sa geôle comporte une paillasse, un cruchon pour boire, uriner et déféquer - sadisme raffiné.
Les autres peuvent porter réclamation auprès du secrétaire particulier du Capitaine Flemann.
Un tchaë visiblement peu disposé à les aider. | |
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Le Dhiwara 21 Otalir 1512 à 19h47
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Un doute étreint l'infortuné Hohen,
car dans la confusion de la mêlée,
il lui a bien semblé entendre un fracas de bois et de cordes.
Se pourrait-il que son sitar ait été légèrement abimé ?
Incapable d'apporter une réponse à cette brûlante question,
l'espoir lui est encore permis.
Tout se passe très vite.
Hohen, Hael'Darnis et tous ceux qui le souhaitent suivent les baillis jusqu'au Caravansérail.
Un sauf-conduit leur est octroyé au bout d'une demi-heure d'attente.
Ils sont alors escortés par deux gardes dans les couloirs du Poinçon.
Ils traversent de longs couloirs bourdonnants,
garnis de bureaux où des classeurs débordent,
et où des gens se prennent la tête entre les mains.
Un escalier vers l'étage,
puis un autre couloir,
plus sombre.
Enfin,
le bureau de maître Enfoirosse,
secrétaire particulier du capitaine Flemann.
Le maître est en train de remplir un Sud-au-cul,
une des ces grilles très à la mode où il faut,
patiemment,
placer des signes astrologiques.
Qu'esse que vous m'voulez ?
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Pendant ce temps,
quelques étages plus bas,
Morkreek est toujours en prison,
où il ne se passe rien,
mais alors,
rien.
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Le Dhiwara 21 Otalir 1512 à 21h25
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Agliacci prend laconiquement la suite d’Hohen, le visage renfermé et bougon, et ignore conscienseument son air navré.
La dernière fois que j’ai mis les pieds au Caravansérail, quelqu’un a essayé de m’assassiner et c’est Achlésis qui m’a sauvé la mise. Achlésis. La cinglée avec des yeux de psychopathe. Je n’ai pas très envie de recommencer l’expérience, se plaint-elle à son compagnon.
Curieusement, sur le trajet leur petit duo s’est vu augmenté d’une tchaë à l’air enfantin, et Agliacci se rappelle l’avoir entendu sur le consensus. Une autre plaignante, certainement. Elle la salue brièvement. Elle tente même une plaisanterie :
Enfoirosse, Flemann…encore un peu, et nous finirons chez Conan le Barbare et Connard le Barbant.
Et puis, quelle triste fin, pour Morkreek !...
Elle n’aurait jamais imaginé voir un symbiosé tomber si bas, et perdre assez de cœur et de raison pour en venir à tordre volontairement une sitar. En somme, la Luthière est en deuil et c’est probablement la raison pour laquelle elle porte actuellement un regard très sérieux et très morne sur le secrétaire particulier chez lesquels ils ont débouché.
D’un enthousiasme tout aussi égayé que celui du Poinçonneux qui lui fait face, la tydale, pas vraiment en phase avec les préocuppations matérielles de ses deux compagnons, se contente de répondre :
Né sous Maelia en Marigar, c’est forcément le signe de l’Attente, pas celui du Conflit.
Elle louche sur le reste de la grille de Sud-au-cul. Sadr en serait tombée à la renverse, elle en est convaincue.
Et là, ça doit être le signe de l’Insondable, marmonne-t-elle avec une très, très, très légère pointe d’intérêt.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Merakih 24 Otalir 1512 à 22h47
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TIC. TAC.
TIC. TAC.
TIC...
TAC...
....
Les sortilèges jetés dans la bataille créent un tapage monstre,
comme il n'y en a pas eu depuis bien longtemps.
Les rideaux de la loge sont retombés,
masquant le crépuscule fébrile.
Kalim Einashal est seul.
Tel est son fardeau.
Il vient d'être averti de l'évasion de Morkreek.
D'ordinaire, une tentative aussi pitoyable aurait été matée dans l'instant.
Mais il n'en est rien.
C'est inadmissible !
Grand Chambellan !
Comment pouvez-vous vous rendre complice de cette évasion ?
Il en sera...
ASSEZ !!!
Le capitaine Flemann tressaillit.
Kalim Einashal s'est levé,
a haussé la voix.
Le Grand Chambellan est encore maître dans son horloge.
Il entend y être respecté,
encore.
Alors,
il congédie son commandant,
sans autre forme de procès.
Ce dernier,
amer, le salue,
puis quitte la pièce.
Vous savez mes p'tite Dames,
généralement il y a des formulaires à remplir,
des papiers, des paiements et des pièces d'identité à fournir.
Mais le Grand Chambellan,
dans sa Grande Générosité,
vous fait grâce de c'temps perdu,
et vous octroie par sa sainte magie tous les laisser-passer.
Car oui vous,
les symbiosés,
vous avez des privilèges que nous on n'a pas.
Le secrétaire se leva, rangea sa pipe,
enfila son manteau.
Et ce criminel en liberté,
pour la simple raison qu'il est symbiosé,
et qu'il est soit-disant précieux et très utile pour la Confrérie,
mes burnes !
FOUTAISES !
Allez, c'est ça, allez reprendre vos affaires au poste de garde,
et foutez-moi l'camp, sales symbiosés !
Kalim Einashal est seul,
tout en haut de l'Horloge.
Il est le maître de la Justice,
un pilier de la Confrérie.
Il soulève les rideaux,
demeurant muet.
...
Puis,
sans un bruit,
le rideau retombe.
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