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Les Dédales du Luth

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Sujet lancé par Hohen
Le 01-08-1512 à 11h45
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Posté par Agliacci,
Le 25-10-1512 à 23h18
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Hohen

Le Luang 8 Otalir 1512 à 23h37

 
*** Le croissant éclaire
La terre brumeuse.
Fleurs de sarrasin. ***


Le Patricien laisse échapper un rire cristallin devant la remarque fruitée de l'artiste.

Je suis bien content d'être en si charmante compagnie ! Et si spirituelle aka's !

Un instant.

Soyez désormais assurée de ma modeste contribution à votre art. N'hésitez surtout pas à transmettre vos doléances à Hohenheim qui transmettra. Considérez que la dimension financière vous est ôtée. Je ne me pardonnerai pas que votre fibre artistique soit bloquée par des considérations si terre-à-terre. Je prends à coeur mon rôle de mécène, de parrain et de protecteur des arts et des artistes. C'est un maigre service que je vous offre.

Relevant la tête. Plus sérieusement.

C'est une offre que vous ne pouvez refuser.

Plus jovial.

Mais je m'égare. Continuons la soirée comme elle a commencée. A la perfection grâce à votre présence ! Après les yeux et les oreilles, au tour de la bouche. Je vous propose, bien humblement, de découvrir quelques mets du Matriarcat. Bien sûr, le tort ou la gloire en reviendra à notre ami commun ici présent.

S'approchant de son oreille.

J'espère simplement qu'il est meilleur cuisinier qu'épéiste. Au pire, il me reste quelques biscuits si vous voulez.

Les convives traversent un pont d'un rouge éclatant tandis que des serviteurs allument çà et là des lanternes de pierre. Quelques grosses carpes rouge et or paressent paisiblement au fond de la petite rivière. Devant eux se dresse une cabane minuscule sans aucune décoration et incarnant à merveille le mot "rustique".

*** ***


Ce cabanon, bien misérable, est propice à la méditation ou pour boire une tasse de thé. Mais pour ce soir, ce cadre sommaire j'en conviens, sera notre cocon de gourmandises. Je vous en prie, entrez.

Tandis que le Patricien et Agliacci s'installent, Hohen a disparu mais on l'entend murmurer quelques consignes derrière le bois.

La pièce est rigoureusement vide de toute décoration. Une table basse et des coussins plats sont les seuls traces d'un simulacre de confort. Deux des quatre murs sont en bois tandis que les deux autres sont des panneaux glissants comme à l'intérieur de la maison des invités. Des mains invisibles décalent ces panneaux qui font apparaître le jardin miniature et au fond la pièce où ils se tenaient tout à l'heure.

Et tandis que le jour se couche, les lanternes se réveillent.


*** ***


Les dernières consignes données, je reviens et m'installe à la droite du Patricien et en face d'Agliacci. Je m'éclaircit la voix discrètement et prend la parole.

Ce..ce soir, pour fêter retrouvailles et découvertes mutuelles, union des cultures antagonistes mais vivant sur une même terre et..et..et sous les mêmes étoiles, j'..j'ai préparé simple menu alliant matriarcat et confrérie.

A cet instant, Mamoru entre et sers les hôtes, Agliacci en première, le Parrain ensuite et moi en dernier.


Foie-gras d'Utrynia mi-cuît, tartines parfumées au miel de Cavillo et pyramide d'artichauts à la barigoule.

J'ai l'estomac tellement noué que j'ai l'appétit coupé.

Au même endroit que tout à l'heure, comme prévu, le nouveau groupe commence. La distance diminue le bruit des percussions et rend la chose plus supportable. Toutefois, je sais pertinemment quel sera le dernier spectacle proposé et je ne pourrai rien faire.


Thème

 
Agliacci

Le Merakih 10 Otalir 1512 à 15h07

 
*** Il neige au Nord
Une heure un siècle encore
La terre pâle dort. ***


Comment ça, "une offre que je ne peux refuser"… ? lance-t-elle, mais visiblement personne ne semble enclin à lui répondre et après tout, cela n’est là qu’une effronterie de plus de la part d’un énième mécène. La tydale n’a pas l’air particulièrement soucieuse en pénétrant à son tour dans la maigre structure boiseuse.

Pourtant, c’est bien une offre qu’elle a l’intention de décliner. Aussi agréable Ilmarinen se présente-t-il, la Luthière ne peut conjuguer mentalement ses hasardeuses et chaotiques créations à la nécessité d’en répondre ou d’en référer…

Elle s’assied, les pieds sagement repliés sous elle, et a un petit sourire au commentaire du Patricien. En retour, et toujours sur le ton du murmure :


Vous vous moquez, Monsieur, mais une fois, cet inconscient m’a sauvé la mise dans le désert d’Amody - où j’essayais de sauver la sienne.

Rapidement, la petite cabane sans grande personnalité devient l’épicentre de phénomènes sensoriels des plus variés, à la surprise d’Agliacci qui ne se fait toujours pas à l’idée que des inconnus puissent déplacer et sortir des murs autour d’elle sans qu’un seul de ses yeux difformes puisse les épingler en plein acte. Sur le plan auditif, c’est le roulement lent et lourd des tambours qui assourdissent les aigus et les angles des paroles qu’elle entend ; visuellement, elle est confrontée au spectacle tout à la fois du jardin paradisiaque du gardien des lieux et aux dos dénudés et musculeux des joueurs de tambour, ce qui a de quoi perturber n’importe qui. A cela se rajoute l’apparition d’une chose d’ordre gastronomique qu’elle n’a jamais eu l’heur, de toute son existence, de goûter ; il faut dire que la Luthière, si passionnément esthète, reste dotée du raffinement d’une quiche en matière culinaire. Bref, Agliacci ne savait même pas que l’on pouvait faire des pyramides avec des brocolis et cela se voit à l’arc prudent que dessinent ses sourcils sur son grand front pâle. Elle tape dans la structure du bout de sa fourchette, mais rien ne semble bouger ou tenter d’en sortir, c’est donc que c’est probablement normal et prévu par l’Ordinant.

Histoire de jauger un peu elle-même la personnalité de son nouveau mentor bien malgré elle, elle demande :


Et vous-même, Monsieur, qu’est-ce qui vous a poussé à vous occuper des artistes, ces chats de gouttière d’Arameth ? Etes-vous, comme tant des vôtres à la Perle, un animal politique sous le masque de l’esthète, ou bien plutôt du parti des innocents qui vendrait leur âme pour une leçon de piano ?



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Merakih 10 Otalir 1512 à 22h09

 
Le Patricien attaque la petite pyramide d'artichauts. Il goûte une bouchée, réfléchit longuement les yeux levés vers le plafond, visiblement concentré. Il fait claquer sa langue. Il pousse un "hum" qui en dit long mais qui au final, veut pas dire grand chose. Il n'a jamais trop aimé les artichauts. Par contre, le foie gras ! Il coupe une lamelle qu'il dépose sur le pain. Il est curieux de voir si l'apprenti cuisinier a réussi à recréer le même goût qu'au Matriarcat. Il croque dedans, sous le regard inquiet de l'ordinant. Nouveau "hum".

Peut-être justement parce que j'adore les chats. Ce sont de belles créatures. Fières, solitaires, indépendantes, élégantes.

Il ne peut pas le dire tout haut car cela nuirait à sa réputation, mais il adore les entendre ronronner et il se surprend à se comporter comme un grand-père gâteaux avec n'importe quel matou passant à proximité.

N'y voyez point de malice dans mon mécénat. Je suis loin, très loin des sphères politiques qui n'ont que peu d'intérêts pour moi. Je ne suis qu'un modeste forgeron à la retraite. Je me contentais de forger des armes sans poser de questions et de faire ce pourquoi on me laissait vivre à Kryg.

Nouvelle tranche de foie-gras.

J'ai la chance d'avoir bien vécu de mon métier. A mon âge, à quoi servent les pierres hormis payer des taxes et s'accumuler dans des coffres ? Alors, j'essaye, modestement, d'aider les tydales dans le besoin, d'aider la faction qui m'a accueillit il y a maintenant une vingtaine d'années et d'encourager peut-être le seul point commun entre les deux factions chères à mon coeur : l'Art.

Un instant. Une bouchée.

J'ai essayé le piano avihia. Mais cela demande trop de délicatesse pour des mains habituées à faire marteler de l'acier en fusion. Alors à la place, j'aide des artistes et moi, j'y gagne en passant d'agréables moments à écouter, à voir ou à manger.

Voilà mon intérêt purement personnel je l'avoue sans détours, il y a un peu de fierté à voir certaines protégées devenir de grandes artistes reconnues. Un peu comme un parent et ses enfants j'imagine.


*** ***


Je me dis que j'ai peut-être mal choisi l'accompagnement du foie-gras. Je craignais que seul, ça fasse un peu court, et je manquais d'imagination alors j'avais recyclé la recette des artichauts d'une autre entrée. Agliacci regarde ça comme si ça allait lui sauter à la tête et le Parrain n'a pas l'air extasié. Je m'inquiète pour ma tête. Je me rends compte avec horreur que j'ai oublié de servir le vin. Je me recule à genoux et sort de la pièce pour chercher le vin. Le temps de le récupérer auprès de Mamoru, mon absence n'aurait durée que quelques minutes. Dans mes mains, plusieurs bouteilles que je laisse de coté.

De nouveau, je rentre dans le pavillon avec la bouteille de Madiran et fais goûter au Patricien. Il approuve puis je sers tout le monde.


 
Agliacci

Le Dhiwara 14 Otalir 1512 à 22h28

 
***
Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau ***



Un concerto de « hum » enthousiaste débute dans la petite salle en bois.
L’apparition du vin arrive comme un petit miracle face au regard terne et verdâtre que lui renvoyaient les artichauts, et Agliacci, pour ne point froisser son compagnon symbiosé, fait mine d’être ébahie de plaisir gustatif, une mine dont elle ne maîtrise pas tout à fait encore les secrets.
La tydale ne répond pas immédiatement et laisse couler un silence un plus long qu’il ne l’est vraiment nécessaire. Sans doute prend-elle ce temps pour mieux réfléchir aux arguments de son mécène auto-proclamé.
Et puis c’est la pointe d’un sourire tout en canines. Ses yeux vairons se plissent dans la pénombre.


Qu’est-ce que cela serait, alors, d’être artiste accompli ?
Et jusqu’où seriez-vous prêt à aller, Messire, pour voir, ne mettons pas une, mais un bon millier d’œuvres d’arts ?
Que donneriez-vous pour être à l’épicentre de la plus grande surprise du siècle ?


Oh là là, quelle racoleuse elle fait.
Toujours le même sourire en demi-pointes tandis qu’elle s’attaque au repas.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Matal 16 Otalir 1512 à 23h36

 
*** Sommeil sur le dos d'un cheval,
La lune au loin dans le rêve qui continue,
Fumée de la torréfaction du thé. ***


Le Patricien hausse un sourcil songeur tandis qu'il hume les vapeurs d'alcool s'échappant de son verre.

Appelez-moi Ilmarinen je vous en prie jeune fille.

Il lève son coude, le verre se vide d'un quart.

Une apothéose avant le Déclin ?

Le Patricien jette un regard à Hohen qui lève la tête. Les deux tydales se fixent de longs instants puis l'Ordinant baisse les yeux. Le Parrain réfléchit longuement tandis que les musiciens au bout du jardin font une pause épuisés.

Un enfant du Déclin peut aller très loin liadha. Les Gardiens malgrés eux sont connus pour agir avec une efficacité...absolue. Sans s'encombrer du moindre obstacle. En ce sens, ils sont tout aussi redoutés que les pires sang-cesses.

La dernière tranche de pâté disparait derrière sa barbe. Un autre quart de verre s'évapore. L'air de rien, il continue.

Vous en verrez un exemple tout à l'heure avihia.

Un instant.

Avihia, auriez-vous une idée derrière cette tête malicieuse, si vous me permettez, qu'est la votre ?

Frappant dans ses mains, oubliant les manières.

Merveilleux n'est-il pas Hohenheim ?! Un flamboyant requiem d'Art avant un Déclin ! Voilà qui mérite que nous trinquions !

Il tend son verre.

A la plus grande surprise de ce siècle !

 
Agliacci

Le Vayang 19 Otalir 1512 à 13h46

 
Un requiem, Monsieur ?
Mais ce qui meurt ne meurt que pour naître encore.
Et ce qui naît a encore tant de surprises à nous apprendre…


Son verre encontre celui d’Ilmarinen dans un tintement cristallin.

J’ai hâte de voir l’étendue de votre audace, avihis.
Quant à ma jolie tête, elle ne cache que quelques secrets, de-ci, de-là. Celui que je désire vous livrer est un fantasme que je caresse secrètement : dresser à la Perle le plus carnaval du monde, et y drainer tous nos étrangers. En faire un festival où la multiplicité prendra vraiment son sens. Pouvez-vous vous le représenter ? Cela fait bien deux cycles qu’en-dehors de l’initiative d’avih Hohen, nul symbiosé n’a pris le partie de faire briller notre chère Perle Sombre dans une folie toute artistique. Mais ce monde doit bien avoir un cœur qui bat, et qui saurait mieux en donner les pulsations et le rythme qu’Arameth… ?


Elle goûte au vin et prend une posture plus reculée, afin de mieux observer les réactions de ses compagnons.
En silence, elle se demande si c’est un défi que serait prêt à relever un tydale qui ne la connaît qu’à peine…ce qui lui montrerait bien quel genre de personnage est donc son mécène. Après tout, ce n'est là que pure provocation de sa part...


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Vayang 19 Otalir 1512 à 22h31

 
Le Patricien s'assombrit à l'écoute de cette renaissance. Même si l'artiste n'a pas été frappée du sceau du Déclin, la renaissance est une horreur pour un fils du Matriarcat. Une aberration sans nom qui déchire l'âme à chaque fois, une abomination, une hérésie !

Non, le monde est voué à une fin certaine et absolue. Après, il n'y aura rien, pas de monde meilleur, pas de récompense. Juste un néant où même le temps n'existera plus. La seule véritable peur d'un peuple maudit il y a plusieurs centaines d'années c'est que Syfaria, le Temps et l’Univers en son entier puissent ressusciter, contraignant tout un peuple à attendre une nouvelle fin. Une nouvelle éternité d'attente incertaine et de craintes…


*** ***


J'avale ma salive maladroitement et je manque de m'étouffer. En effet, la culture du Matriarcat n'a pour ainsi aucune emprise sur l'artiste. Ce qui nait encore ne sera que souffrance, déchéance et errance. Pourtant, mieux que moi, mieux que le Patricien, elle peut comprendre la souffrance, la marque du S'sarkh dans le corps d'un peuple. La Mort Finale, c'est le moment que les véritables tydales attendent, le spectacle où les vivants en retard rejoindront leurs ancêtres. Nous attendons tous ce moments. Nous sommes le seul peuple à le vivre de cette façon. Point de délivrance, nulle catastrophe.

Juste la fin. Et bientôt ça sera la fin de tout. Nous en sommes convaincus. Les étoiles ne trompent pas.

Je constate le visage fermé du Patricien et ses mains crispées sur la tartine de foie gras qu'il écrase, j'interviens vite.


Hum..hum, Parrain, ce que avihia Agliacci voulait dire, c'est que la plupart des habitants pensent ça et que si vous voulez susciter l'adhésion à votre idée, il faut faire semblant.

Les gens ne sont pas prêts. glissai-je dans un murmure.

D'autant plus si des étrangers sont invit...

J'ai un affreux doute. Ose-t-elle l'idée incongrue et dangereuse d'ouvrir les portes d'Arameth aux étrangers de toute faction ?

...és.

Je tourne la tête vers elle, le sourcil anxieux, le regard inquiet. Je me ressaisis. Je ne suis qu'un exécutant scrupuleux. Telle est ma fonction. Telle est ma famille. Je débarrasse les assiettes et sert le plat principal fumant.

Aiguillettes de Maëdh «Perle Dombes» rôties
Spirale de pommes de terre et sabayon au lard
Jus de canette infusé d’Earl Grey


*** ***


Le parrain reprend ses esprits. Il lui pardonne. Nous sommes à Arameth, la ville de l'insouciance et cette jeune fille possède la naïveté qui lui évite de sombrer dans le marasme morbide d'une nation exsangue. Il n'aimerait pas revivre. Oh non sûrement pas. Vivre dans une ruche, devenir reproducteur...il se souvient de ces salles à lumière tamisée, de ces grands coussins glauques, de ces moucharabieh derrière lesquels se cachaient les nourrices, surveillant méticuleusement ces rites abominables. Revivre les journées passées à la forge à marteler l'acier pour oublier et s'abrutir de corvées. Revivre cette sensation, le sceau dans la nuque qui vous maintient en vie tout ça parce que vous n'êtes bon qu'à une chose, faire souffrir. Il se souvient d'un jeune reproducteur, son colocataire à Utrynia, il n'y croyait pas à cette histoire de sceau. Il s'était échappé. On l'avait retrouvé le cou nécrosé. "Un exemple pour vous tous" disait la Carias. Revivre le mal-être d'imaginer d'être le paternel d'une centaine d'enfants qu'il ne verrait jamais sur ses genoux.

Revivre ? Plutôt mourir ! Cette phrase l'amusait beaucoup.


Avihia, reprit-il avec un grand sourire, sa voix le trahissant à peine.

Juste pour voir la tête que feront certains officiels, je vous suivrai même dans la tanière de Malastrée. C'est un projet risqué, dangereux et terriblement aléatoire. Mais après tout pourquoi pas. Arameth est bien trop endormi, et une fois n'est pas coutume, c'est une princesse qui pourrait réveiller le prince.


 
Agliacci

Le Dhiwara 21 Otalir 1512 à 21h39

 
Agliacci perçoit le soudain refroidissement dans la conversation, et elle croit un instant que son idée est définitivement déconsidérée par Ilmarinen. Sa mine est bien trop fermée et sérieuse ; sans doute va-t-il lui faire un sermon quant à la sécurité d’Arameth, ou alors il trouve qu’elle fait trop de banalités.

En somme, la tydale ignore tout du préavis idéologique qu’elle vient de frôler si ouvertement. Et comment pourrait-elle le savoir ? Il est évident à la façon dont son visage jeune s’éclaire lorsqu’elle sourit, et à l’éclat malicieux de ses yeux jamais-d’accord-sur-rien, que le néant ne fait pas partie de son monde, ou alors que comme moteur à la création. Une femme comme elle n’en a jamais fini de recommencer, et la barre inquiète que forme son front en réponse à la baisse de température locale n’est encore qu’un signe de sa faim de vivre, et pas de reconaissance aux sentiments qui peuvent tarauder le Patricien en ce moment.


Faire semblant ? répète-t-elle avec curiosité. Mais de quoi ?

Elle croit commencer à comprendre mais l’ampleur de ce qu’elle devine l’étonne bien trop.
Après un bref remerciement à l’égard d’Hohen, elle s’attaque au plat principal.
La dernière remarque du Patricien la fait rire.



Lorsque je vous entends parler, avih Ilmarinen, j’ai l’impression d’être une enfant modèle. Vous me flattez bien trop, mais j’apprécie vos égards.
Et croyez bien que je me ferai un plaisir de défaire les rêves de ce bel au bois dormant.

Il me faudra par contre l’appui d’avih Hohen dans cette histoire ; nous ne serons pas trop deux pour lancer une telle folie.
Si ce dernier accepte d’en porter les conséquences, car je refuse d’entraîner qui que ce soit, y compris vous, Monsieur, dans cette fantaisie si vous n’êtes pas au clair avec les risques qu’elle comporte.
C’est qu’on ne convoque pas l’impromptu à sa porte sans lui donner quelque chose en retour…


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Dhiwara 21 Otalir 1512 à 22h04

 
Le Patricien commence par les pommes de terre avec entrain. Le plat est trop en sauce mais qu'importe, son médecin allait encore se plaindre qu'il ne prenait pas son régime sérieusement. Il continue sur les aiguillettes de Maëdh, prend une petite gorgée de vin. Manger est un plaisir, c'est l'un de ses pêchés.

Et moi, lorsque je vous entends parler avihia, j'ai l'impression d'entendre une fable. L'on n'avait pas exagéré à ce sujet.

Il lève la tête. Le spectacle des tambours est fini, il fait signe à Mamoru d'approcher et lui demande de les remercier pour leur prestation.

Bien entendu ma chère, le soutien d'Hohenheim vous est acquis. C'est à la fois son rôle dans le Tableau, sa fonction au Luth et sa mentalité dans notre famille.

Quant au mien...


Il réfléchit un instant. En temps normal, il aurait refusé une telle implication. Trop mauvais pour les affaires, les risques de retombées étaient significatifs et les relations vis-à-vis des autorités beaucoup trop conflictuelles. Mais en ce soir clément, dans cette ambiance rare, il n'en avait cure.

Il arborait un grand sourire. Heureux.


...que puis-je faire ?

Ils discutèrent encore pendant une petite heure du projet tellement fou qu'il en devenait possible à réaliser. Une farce. Un pied de nez à la fin des Temps comme un ultime affront au Déclin. Un peuple qui tirait la langue à son Destin tout en l'acceptant inexorablement.

Avihia, je vois que l'heure est bien avancée. Si cela vous convient, j'aimerai vous montrer quelque chose...de rare. Ensuite, je ferai mander une chaise à porteur pour vous ramener chez vous.

Sortant du pavillon de bois, la nuit tombée recouvrait de noir le jardin. Quelque îlots de lumière subsistaient enfermés sagement dans des lanternes de pierre guidant les vivants et les morts sur le chemin à prendre. Le transparent Ordinant disparu au détour d'une ombre laissant les deux tydales marcher lentement.

Tout à l'heure, vous parliez de danser au son d'une musique. Il n'est un secret pour personne que les guerrières du Matriarcat sont connues pour leur danse. Toutefois, la signification de ce mot est très différente chez nos soeurs, vous voyez de quoi je veux parler. Avihia, je vous en propose un petit aperçu de l'Art méconnu de notre Peuple. C'est un spectacle rare. Les personnes qui voient ça meurent généralement après.

Sourire malicieux.

Bien sûr, rien à craindre pour vous.

L'un des participants n'est autre qu'un pauvre inapte que j'ai recueilli il y a bien longtemps. Laissé pour mort dans le désert, il s'est proposé de me servir, ne demandant rien en retour. Je lui ai découvert un talent unique, une facilité exceptionnelle au combat, une compréhension de certains...secrets jusque là inégalée. Mais son talent n'était pas utile pour la survie de notre race.


Relevant la tête, pensif.

Quel gâchis. Il méritait sa place autant que moi.

Quant à l'autre, c'est le rejeton d'un célèbre exécuteur matriarcal venu à Arameth et qui s'est entiché d'une consoeur. Une fine lame malheureusement décédée il y a peu lors de la défense de notre chère cité. Le fils ne possède aucun talent particulier, nous avons essayé de voir si l'héritage de son paternel avait vécu en lui mais nous n'avons rien trouvé à notre grand regret. Mais il a une certaine force de conviction face à l'adversité.


L'artiste et le Parrain revinrent à la première terrasse qui avait été aménagée par Mamoru avec des sièges, couvertures en fourrures et un petit brasero. Les fauteuils étaient tournés vers l'intérieur cette fois. Lorsqu'ils s'assirent, les autres panneaux disparurent, laissant apparaître un grand espace devant eux qui devait englober toute la maison. De nombreuses lanternes éclairaient la pièce.

Je vous en prie avihia, installez-vous et ouvrez grand les yeux. Je vous promets ce spectacle à nul autre pareil.

Le Patricien frappa dans ses mains deux fois et s'assit confortablement. Deux silhouettes apparurent progressivement de la pénombre. Chacune portait une armure qui recouvrait entièrement le corps, les modèles semblaient presque semblables à de rares exceptions près. S'avançant d'un peu plus près, la forme de droite laissait apparaître un visage chauve au regard dur. Le tatouage emblématique de l'inaptitude ornant son front tel un troisième oeil. Une mâchoire carrée taillée à la serpe. D'un geste délicat, il présenta son arme des deux mains devant lui et s'inclina devant le Patricien. L'épée paraissait d'une grande finesse, si fine qu'on avait l'impression qu'elle pouvait couper l'air au sens propre.

*** ***


Avihia Agliacci, je vous présente Ujjayni. Sous ses aspects...sérieux, c'est un garçon d'une grande finesse, notamment dans l'art de la composition florale. Excusez-le, il est un peu timide avec la gent féminine, vous comprendrez.

La deuxième forme s'avança à la lumière et s'inclina. Le visage était différent. C'était Hohen oui, mais on avait l'impression d'avoir enlevé tout ce qui faisait de lui ce qu'on connaissait de lui. Ou ce qu'il voulait bien qu'on connaisse de lui.

Oh quel maladroit je suis, j'oubliais que la symbiose vous permettait de deviner les noms d'autres symbiosés, n'est-ce pas Hohenheim ?

*** ***


L'ordinant hocha la tête. Il présenta à son tour l'épée en s'inclinant. Puis il recula et se positionna en face de son adversaire à 10 pas de distance.

Hajime ! cria le Patricien rapidement.

D'une main, chaque combattant tenait son épée dans son fourreau, l'autre main sur la fusée. Chacun avança de cinq pas glissé sur le sol puis dégaina pour que les épées se frôlent à l'extrémité. Simultanément, ils s’accroupirent puis se relevèrent.

Ujjayni poussa un hurlement bref mais ne bougea pas d'un pouce. Puis ce fut au tour d'Hohen. Personne ne l'avait entendu ne serait-ce que hausser la voix depuis qu'il vivait à Arameth. Tout le monde l'avait toujours entendu bafouiller, s'embrouiller dans ses propos. A la place, ce fut un cri du plus profond de ses origines qui résonna dans la pièce.

Puis ils s'élancèrent.


 
Agliacci

Le Matal 23 Otalir 1512 à 22h47

 
Elle peut deviner pourquoi ce spectacle était interdit.

Des mâles, imitant les gestes amples et gracieusement fatales des Danse-Lames ? Oh, l’ironie ! La pâle imitation ! Et pourtant…, aurait-elle fait autrement, à leur place ? Etait-ce la raison pour laquelle Ujjayni avait été déclaré inapte ?
L’Artiste pâlit lorsqu’Hohen se présente face à elle.


Vous ne voulez tout de même pas dire que…commence-t-elle, mais elle ne parvient pas à finir sa phrase. Ses grands yeux vairons écarquillés détaillent la finesse de l’acier froid entre les mains des deux tydales.

D’assise, la tydale devient rigide.

Elle n’aime pas voir Hohen ainsi affublé. Elle n’aime pas l’éclat dur de son regard et la contraction de machoîre. Elle n’aime pas non plus la mine rustre et la force qu’on devine chez son adversaire.Elle se rend bien compte que ce n’est pas le Hohen qu’elle connait qui se tient devant elle et glisse posément sur le sol pour une joute interdite, et cela l’effraie d’autant plus : s’il garde un second visage, comme tous les confrères, lequel, alors, est le bon et le juste ? Elle avait espéré de tout cœur voir en l’Ordinant une flammèche presque pure dans un univers qui cultive la duplicité et la représentation.

Quelle ironie, qu’il se jouât d’elle à son tour ! Est-elle donc si facile à berner ?

Elle se renfonce dans son siège et sa main agrippe nerveusement celle du Patricien tandis que le combat commence.
Elle regrette un peu la pyramide de brocolis. La joute promet d’être belle, mais l’idée qu’on lui ait ri au nez tout ce temps la taraude.


C’est vous qui lui avez fait ça ? Chuchote-t-elle à voix basse à Ilmarinen.
Et son ton est définitivement colérique.




Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Merakih 24 Otalir 1512 à 13h00

 
Le Patricien prend le temps de répondre, intéressé par l’échange de coups devant ses yeux. Il entend la colère de son invitée, il est un peu surpris. Peut-être un malentendu qu’il faut dissiper.

Avihia, c’est une longue histoire, celle de la relation entre un père et son fils. Hohenheim voulait que son père soit fier de lui, mais comment prouver sa valeur à un combattant élevé dans la plus pure des traditions matriarcales ? Il n’y a qu’une façon. Et quand on est qu’un enfant normal, rêveur et maladroit, la désillusion est dure. Après l’attaque du Tark’nal, il ne restait de son père que l’épée et l’armure que vous voyez sous vos yeux. Aucune larme versée mais une détermination renforcée. Et peut-être, je dis bien peut-être, sous ses airs mous et paresseux se cachent une fermeté insondable…

Nouveaux cris.

Ne vous trompez pas, il ne s’agit pas d’un simple combat comme nous avons l’habitude de voir ici. Les règles sont strictes, les coups sont répétés des milliers de fois, exécutés au millimètre près. Dans cet échange, celui qui prend le plus de risque est Ujjayni. Hohenheim n’a pas une parfaite maîtrise de son corps, ni de ses sentiments, ni de son arme. Une erreur peut vite arriver et la tête de mon maître d’armes peut se retrouver sur le sol. Ujjayni ne commet pas ce genre d’approximations.

Calmez-vous avihia Agliacci et observez avant de juger. Vous possédez une sensibilité exacerbée aux Arts, regardez par vous-même la délicatesse des déplacements, la précision des coups et des parades, la concentration dont ils font preuve, la parfaite synchronisation entre eux.

Regardez-bien.


Après chaque échange qui dure au plus qu’une fraction de seconde, chaque combattant reprend la même position. Jambe gauche en retrait, talon légèrement relevé. L’épée tenue à deux mains pointant vers la gorge de son adversaire. Le visage perlé de sueur ne distrait en rien le regard des pratiquants. Comme d’un commun accord silencieux, ils agissent en même temps, l’un se fend d’une attaque au flanc, l’autre parant au dernier moment du plat de l’épée, créant une gerbe d’étincelles illustrée d’un son cristallin.

Lorsqu’un exécuteur rentre dans le combat, il oublie derrière lui sa conscience, son existence et même le monde qui l’entoure. N’existent plus que deux choses : son épée et son adversaire. Bien plus qu’un enchainement de coups et de parades, c’est une philosophie sur l’impermanence de toute chose, une façon de vivre et de mourir, un aboutissement dans la maîtrise de soi.

Détendez-vous.

L’Ordinant du Luth n’existe plus. Hohenheim n’existe plus. Ici et maintenant, c’est une épée que j’ai forgé il y a plus de 40 ans, un cadeau pour son père. Cette épée est son héritage et sa malédiction. Regardez-le mieux. Concentré, sûr, déterminé, viril.


Un instant, il reprend avec une pointe de regret.

Après, il redeviendra timide, transparent, inquiet tel que nous l’avons toujours connu.

Le combat continue encore quelques minutes. Les échanges sont brefs, intenses, rythmés par les cris et les bruissements d’acier. Au bout d’un moment, les choses ralentissent. Les adversaires s’éloignent de quelques pas.

Et maintenant, voilà ce que vous ne verrez probablement plus jamais. De l’Exécution. Le parachèvement d’un Art. Ujjayni va littéralement déformer l’espace de la Trame pour combattre.

De sa place, Ujjayni commence à exécuter plusieurs séries de passes d’arme dans le vide tel un ballet solitaire. L’Ordinant se crispe et se positionne en défense. Au bout de quelques secondes, l’épée de l’attaquant disparait purement et simplement.

Pour réapparaître un instant plus tard devant Hohen à pleine vitesse. Il ne peut que parer maladroitement et dévier l’attaque sur son armure laissant tomber quelques plaques de métal. Puis l’épée revient dans la main de son propriétaire. Hohen reste debout, sonné par la violence de l'impact. Puis chacun se remet droit comme au début puis rengaine son arme. Chacun s'incline cérémonieusement puis se tournent vers le public et s'inclinent de nouveau.


 
Agliacci

Le Julung 25 Otalir 1512 à 23h18

 
Agliacci écoute attentivement le Patricien.

Et puis elle écoute encore. Sa main se détend dans la paume de ce dernier. Elle regarde d’un œil neuf et étrange les arabesques que dessinent les deux hommes, elle regarde la confiance et le calme qui irradie d’Hohen et la sérénité des danseurs.

Parce que oui, ils dansent. Avec des lames, avec des armures, avec la Trame, avec la violence et la mort ; mais ils dansent aussi pour une liberté que tous deux n’auront jamais eu de par leur naissance. Ils ne connaîtront pas le doux baiser du libre-arbitre, quoi qu’ils fassent pour cela ; mais ils dansent néanmoins, avec ce qu’ils savent faire, ce qu’ils peuvent faire. Et oui, Ilmarinen a raison : cela est beau, et elle ne devrait pas s’en offusquer. Il ne lui appartient pas du juger de ce qui apporte tant de grâce et de paix à son compagnon de fortune et d’infortune. En fait, c’est un merveilleux cadeau que ces tydales lui offrent là, un beau secret qu’ils ne livrent qu’à quelques-uns, et elle saisit la portée de la confiance qu’elle a dû leur inspirer pour que cela lui soit offert.

Elle regarde les gestes sûrs et souples de son ami et sa colère s’évapore.
Elle n’avait pas compris.
Elle sourit.


Merci. Je comprends mieux.

Et se tait.

Ils n’ont pas besoin d’elle, pas besoin de ses mots maladroits. Et elle, elle est heureuse de recevoir ce magnifique présent que personne d’autre ne connaît. Alors, en silence, elle profite.

Et lorsque la chorégraphie se termine, c’est avec une pointe de nostalgie pour la Luthière qui sait néanmoins reconnaître les prémisses nécessaires de la fin.

Pendant que les deux guerriers font leur salut, la tydale se penche à l’oreille du Patricien, et lui murmure en secret :


Si vous pouviez faire une dernière chose pour moi, Ilmarinen…
Dites à cette tête de mule à quel point je suis fière de lui.

Si je lui dis en face, il ne me croira pas. Mais peut-être que vous saurez le lui faire comprendre comme vous venez de m’ouvrir les yeux.


Elle se redresse et applaudit.
C’est que parfois, même les artistes les plus endurcis savourent secrètement le plaisir puéril de témoigner, à grand claquement de paumes, de l’émerveillement qu’ils peuvent eux aussi traverser…


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

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