| J'essaye de me souvenir.
De quelque chose. De quelqu'un.
D'un instant. D'une période.
Que s'est-il passé cette nuit-là. Pourquoi je me mets soudain à autant réfléchir. Je cherche ce qu'il ne va pas. Ce qui m'éloigne de l'époque heureuse où je ne savais rien, où je ne comprenais rien. Le peu que je sais me harcèle, me titillant vers les sentiers d'une perdition certaine. Une partie de moi y aspire, toute petite partie mais suffisante pour entamer le roc d'un conditionnement pluri-décennal. Est-ce la symbiose ? Ce vieux fou de Petrorius ? Ou bien Edoar ? Et Agliacci ?
Très très bien, dernier prix : quinze sardoines pièce.
Hein ?
Je sors de mes rêveries. Je me souviens que j'étais en pleine discussion avec un importateur de la Fraternité. Des fusées d'artifices, il était bien connu dans syfaria que tout ce qui était technologique et explosif venait du Désordre. On m'en avait beaucoup parlé, de ces spectacles pyrotechniques. Autant de leur beauté que de leur danger incendiaire. Je me disais que ça pourrait faire son petit effet ici bas. Le peu de feu d'artifices qu'on a pu voir à la Perle étaient timides, discrets, silencieux. Ici, je comptais bien y mettre les formes et sacrifier une part non négligeable du budget dans cette partie. Le reste est comme d'habitude séparé entre nourriture, alcool et autres animations.
Ray'zë !
Je mime la satisfaction de la conclusion de cet accord. On trinque et j'offre à mon marchand de la compagnie pour la soirée. Je n'apprécie pas avoir recours à ce genre de procédés, une partie de moi se révolte, l'autre dit que ce sont les affaires et qu'après tout, je suis confrère. Je ne dois pas usurper la réputation d'une faction qui vendrait père et mère pour quelques sardoines de plus.
Le tchaë s'éloigne heureux, je dégaine mon calepin de notes et rature une des lignes de ma liste. Plusieurs autres tâches ont été confiées à des subalternes. Il me faut croire qu'un Ordinant doit déléguer les tâches ingrates à d'autres. Je m'y refuse encore, me heurtant à un mur d'incompréhension. Je suis un "gradé", un "symbiosé", l'élite de la poussière parait-il. Je dois donc encadrer, déléguer et profiter. Alors j'applique les règles, du moins une partie. Je me refuse d'enseigner quoi que ce soit à d'autres car j'estime que je n'ai rien à leur apprendre. Que pourrai-je d'ailleurs transmettre ? Comment bégayer devant son supérieur ? Comment nettoyer une casserole trop grasse ? Comment rempailler une chaise ?
Je parcoure anxieux le Dédale, je commence à ne plus me perdre à l'intérieur. Depuis quand suis-je devenu aussi expert pour reconnaître mon chemin ? Depuis quand ai-je la désagréable impression que je deviens différent, radicalement. Les artisans, les commerçants commencent à me connaître, j'ai perdu mon anonymat progressivement.
On m'informe que le banquet est en bonne voie de préparation. Buffet géant une nouvelle fois élaboré par le Piaf, celui qui avait crée le menu du banquet du nouveau cycle. Les artistes ont été sélectionnés pour représenter plusieurs corps de métiers et promouvoir la diversité et la nouveauté. Les autorisations administratives sont en retard mais rien ne m'étonne, ainsi va le Terreau. Le Poinçon a été également prévenu, le service d'ordre devrait éviter une partie des excès. Le Sérail prépare ses plus belles créations.
Assis dans le bureau que l'on m'a donné, j'écoute le rapport de mes différents aides de camp. Pourquoi ai-je l'impression que quelque chose cloche. Je devrai être à leur place et quelqu'un d'autre à la mienne. C'est ça, je ne suis pas à ma place. L'idée me trotte dans la tête depuis un moment.
Je cligne des yeux et reviens dans la réalité. J'ai un métier, je dois l'exécuter.
Je sers la Confrérie et c'est ma joie.
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