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Bas fonds d'Arameth

Noctambulisme

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Sujet lancé par Agliacci
Le 06-12-1510 à 19h16
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Posté par Agliacci,
Le 06-12-1510 à 19h16
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Agliacci

Le Luang 6 Dasawar 1510 à 19h16

 
Trop tard ou trop tôt, c’est selon.

D’une pression du pied, Agliacci s’assure que la corde est tendue et solide. Accroupie au bord du toit, elle jette un regard en contrebas.
Elle aime bien cette sensation douceâtre de vertige. Celle d’une brise sur le visage. La nuit, cette jeune sauvage, recouvre tout.
L’arrière-toile des bas-fonds se déploie : plus à l’ouest, des aboiements brutaux, ponctués de cris et d’encouragement, dénoncent un combat de dogues et les paris qui l’animent. Un vague rythme musical s’échappe d’une maison de passe. Tout est sec, âpre, dur, menaçant, étriqué.

La silhouette se délie et retrousse méticuleusement les manches d’un chemisier entrouvert au-dessus de ses coudes. C’est avec la même application qu’elle vérifie l’attache du violon à sa taille et étudie l’architecture du carrefour évidé où quelques ombres traînent leurs guêtres comme des âmes en peine.
Il n’y a rien à voir. La topologie et la notion de structure ont depuis longtemps déserté ce non-lieu.

Ah, le goût du symbolisme finira bien un jour par la perdre...


A nous deux, mon amour…, murmure-t-elle tout bas, en calant le balancier sur ses épaules.

Elle sent la corde, revêche, contre sa plante de pied. Elle l’apprivoise par petits à-coups, à peine quelques pas, des coups de pattes tout au plus.
Elle n’a pas peur, non. Ni de chuter, ni des bas-fonds, ni de ce qui pourrait arriver ; elle n’anticipe rien, n’en cache pas plus. Eliminez le calcul, la gestion, la projection, le questionnement : vous obtenez un être à la crête de l’existence, fluide, souple. Elle est à vif. A vif de tout.

Hors d’elle.
Et elle aime bien ça. Et elle est là.

La corde fait le dos rond. Elle se laisse faire, se creuse sous le poids, même léger, de la noctambule. Le balancier oscille doucement sur ses omoplates.
Arrivée à moitié de la corde ronde, la tydale s’arrête sans prévenir et rejette la tête en arrière.

Elle est bien proche de la nuit comme ça, en hauteur.
On dit qu’il y a trois ivresses chez la Poussière. Se sentir homme sur une femme, plante sous le ciel et néant dans la musique.

Agliacci, paumée entre ciel et terre, réfléchit à la question. Très longuement.

Elle a ce geste incompréhensible de laisser glisser le balancier de travers pour tendre le bras vers le cosmos. Comme si elle espérait le toucher.
Ses sourcils se froncent, trahissent sa confusion. Elle monte doucement sur la pointe des pieds, maintenant. Tout son corps s’agace contre ses vêtements, contre la pesanteur, contre la pudeur, rechigne à l’appel de la conscience.

La voltigeuse reste tendue dans cette pose un temps, le regard obtusément fixé sur les astres, avant de rabaisser lentement son bras et de laisser reposer à nouveau ses talons sur la corde qui vacille.
Elle tâtonne, trouve le chevalet du violon qui lui ceint la hanche, confectionné par Bakean il y a de ça…oh…qu’importe, vraiment…
L’instrument trouve naturellement sa place au creux de son épaule, aux dépends du balancier qui menace de chuter à chaque instant.

Les yeux clos, la tydale se laisse aller à la troisième ivresse comme si rien ne devait advenir par la suite, comme si c’était bel et bien la dernière fois qu’elle jouait. Elle joue pour le croisement en-dessous, les dogues, les âmes en peine et la corde qui tangue, plus apprivoisée du tout soudain.
Noctambule de rien.

Hors d’elle.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

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