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La Place du Terreau

Tempus fugit

Sine nobis
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Sujet lancé par Petrorius
Le 14-09-1510 à 01h17
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Posté par Nelle,
Le 06-10-1510 à 15h39
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Petrorius

Le Matal 14 Saptawarar 1510 à 01h17

 
J'attends, devant la mairie, la venue de la propage Nelle et de l'Ordinant Hohen.
Je suis un peu en avance.

D'ordinaire, j'aime cela. Prendre mon temps, me poser, profiter de l'instant présent.
Seulement voilà : depuis quelques jours, ce genre d'expression m'apparait des plus indigeste. A tel point qu'il me devient difficile, voire impossible, de masquer ce qui me ronge : je ne dors plus, je digère mal, j'ai des aigreurs qui me jaunissent le teint. Une vraie tête de moribond.

J'ai déjà parlé à mon Chambellan, Avih Edaregord. Je lui ai révélé ce que je m'apprête à répéter, avec plus de détail et d'assurance, à la première Dame de notre faction. Edoar m'a compris, il m'a suivi et il m'a cru, mais je me demande... je me demande s'il a bien pris toute la mesure des implications. S'il a saisi ce que cela signifiait, pour nous. Pour tous.

J'attends et soudain, je grince des dents. L'attente me devient insupportable ! Le temps fuit, le temps fuit, sans nous ! Sans moi !
L'impatience, jusqu'à ce jour, m'apparaissait puérile ; je lui trouve désormais des vertus cardinales.

La témoin et moi-même désirons solliciter un entretien auprès de Syphine Andromar. Le brave Hohen sera de la partie, c'est une première étape de la thérapie que j'entreprends avec lui...

La jeune tchaë ignore ce dont j'entends parler. Je pense qu'elle sera surprise. Hohen aussi, sans doute.
Quant à Syphine...

Qui sait ?


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Nelle

Le Matal 14 Saptawarar 1510 à 13h39

 
Flanquée de son escorte du moment, Nelle ne tarde pas à rejoindre le confrère devant la pyramide du Terreau. Si la réputation qu'on lui donnée de cette administration n'est pas surfaite -et les deux jours nécessaires pour obtenir une simple autorisation d'entrer en ville laissent à penser qu'elle est même bien au-dessous de la vérité- c'est sans doute aussi bien littéralement qu'allégoriquement qu'ils vont avoir à escalader le bâtiment pour accéder à son sommet.

Nelle espère cependant que ces premières démarches ne vont pas leur prendre la journée. Et accessoirement, que la réponse à leur demande d'entretien leur parvienne avant l'apocalypse prochainement annoncée...

En ce tout début de matinée, alors que la cité s'éveille à peine, l'activité sera peut-être encore suffisamment réduite pour se permettre d'être efficace.
Un peu d'optimisme, ça ne mange pas de pain.


Aysh'in avih Petrorius.

Je vous présente... Jowan.
Il est là pour assurer ma... sécurité.


 
Petrorius

Le Matal 14 Saptawarar 1510 à 14h22

 
Je me découvre à l'arrivée de la sorcière :

Aysh'hinassa, Aviha Nelle. Je suis fort aise de vous revoir.

Ce qui est la stricte vérité.

Sa venue m'extrait quelques instants de mes sombres pensées. Il ne manque désormais que l'Ordinant Hohen. Ce jean-foutre est évidemment en retard, à supposer même qu'il n'a point fait la sourde cervelle à ma dernière injonction télépathique. La peste soit de ce velléitaire, de ce procratisnateur-né ! Comment puis-je engager sa thérapie s'il s'éclipse dès la première séance ? Je sens que ce patient va m'agacer, mais m'agacer...

Et voilà. Dès que j'évoque le pauvre luthier, je le voue au Jémori. Est-ce son obséquieuse langueur qui m'irrite ainsi ? Je ne sais vraiment sur quel pied danser. Pour l'heure, il est absent, nous ferons donc sans lui. Avec un peu de chance, mais pas trop... il nous rejoindra dans les temps.

La jeune témoin est flanquée d'un garde municipal. Allons bon. Qu'est-ce que ce piéton vient faire au Terreau ? Alors que je m'apprête à poser la question, la réponse m'est soufflée par monsieur Siam :


Siam dit :
Aviha Nelle est originaire d'une faction étrangère, Docteur.
C'est pourquoi elle est accompagnée.


Ah, bien sûr. Merci bien, mon bon.

Je reviens à Nelle, m'effaçant devant le seuil de la mairie et l'invitant à entrer :

Je vous en prie.

A l'intérieur, nous rejoignons le guichet principal où par chance, personne n'attend. J'engage le dialogue avec la préposée aux affaires extérieures du Terreau :

Aysh'hin, Aviha. Je souhaite retirer un formulaires vert B-425bis alinéa 7, version 1508 avec copie carbonnée à destination de l'Horloge du Terreau. Vous y adjoindrez une requête formelle C-78, bleue, avec copie carbonnée à destination de l'Horloge du Luth, ainsi qu'une demande prioritaire d'entretien sécurisé de catégorie A, à l'intention de la première Dame Syphine Andromar, avec copie carbonnée à destination de l'Horloge du Limonaire.

La tydale perruquée attend, puis s'enquiert :

De quelle couleur, la demande d'entretien sécurisé ?

Ah. Voyons, voyons... et bien, puisque je suis membre du Limonaire et qu'elle s'adresse au Terreau, nous dirons mauve pour l'en-tête et vert pour le corps.

Très bien.


La fonctionnaire nous fournit les documents demandés. Trois personnes, originaires de deux horloges distinctes et d'une autre faction, cela fait de la paperasse ! J'aide la jeune tchaë à remplir sa partie, qui n'a rien d'évidente pour qui n'est point familier des circonvolutions intestines de notre administration, puis je remplis la mienne et pré-remplis celle d'Avih Hohen.

Je retourne les formulaires à qui de droit.
Il n'y a plus qu'à attendre...


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Hohen

Le Matal 14 Saptawarar 1510 à 15h01

 
Je savais que je n'aurai pas du faire une sieste, je savais que je n'aurai pas du faire une sieste, je le savais pourtant ! Pauvre de moi, me voilà à courir à travers la ville comme si j'avais un arracheur de dents à mes trousses. J'en viens à reconsidérer ma formulation, c'est pire, je fonce tête baissée vers lui. Bien sûr, je trouve le temps de me perdre dans le Dédale et bien sûr, il faut que ce soit aujourd'hui justement pour me perdre ! Pourquoi je dois tremper dans des affaires louches hein ? Et si la Grande Chambellan nous fait tomber une escouade de sombreurs pendant l'entretien, j'aurai l'air de quoi moi ? Le docteur, il est vieux, il n'a pas grand chose à perdre, la Propage c'est une Témoin, ils sont fous par nature, mais moi...j'ai rien demandé. Depuis quand on invite les larbins à ce genre de discussions où on risque sa peau ? Je sens le complot, pas contre la Confrérie, non non, contre moi !

Enfin la pyramide...J'ai du visiter ce bâtiment le strict minimum de fois. Trop risqué, le Terreau n'est pas réputé pour être une association de bienfaisance. Il doit y avoir plus de dagues empoisonnées que de paperasses et plus de cadavres dans les tiroirs que de paperasses encore. Si je n'étais pas aussi trouillard, j'aurai bien aimé dire le fond de ma pensée au bon docteur, sur mon sentiment d'être embarqué dans ses pulsions suicidaires. J'arrête ma course effrénée le temps de reprendre mon souffle et m'éponger un peu.

Je sers la Confrérie et c'est ma joie...mon oeil !

Je pousse lentement la lourde porte, mon instinct dont le trouillomètre s'affole de plus en plus me suggère de fermer la porte et de partir cultiver des carottes loin d'ici. Très très loin. Aïe, ils sont déjà là, vais me prendre une soufflante histoire de changer. Mais qu'est-ce que j'ai fait au Tableau pour mériter tel sort. Un quatrième larron, totalement inconnu, probablement pour nous égorger ou nous empoisonner. Petrorius...dans quoi tu m'as embarqué vieux sénile suicidaire ? Sourire bête de circonstance et attitude trouillarde, également de circonstance, j'avance vers mes futurs voisins de cimetière.

Aysh'hinassa avihian, une petite affaire au Luth à régler...

...avant de mourir bêtement ici.


 
Syphine Andromar

Le Merakih 15 Saptawarar 1510 à 21h05

 
Une heure s'écoule.
Lentement.
On les fait attendre sur des bancs inconfortables, dans le grand hall, au beau milieu de l'agitation et des va et vient incessants propres au Terreau.
Aucune pancarte, aucune indication, rien n'indique où mènent cette cohorte de couloirs, de portes et d'escaliers qui partent du hall pour s'insinuer dans la grande pyramide.
Nul doute, en ce lieu surréaliste, que la puissance du Terreau est insondable et magnifique.
Chacun semble savoir ce qu'il y fait, et fourmille en un silence serein vers d'obscurs tâches.

Eux attendent. Ils sont les seuls d'ailleurs à attendre.
Peu de gens effectuent des demandes d'entretien. Et ceux qui s'y osent voient en général un fonctionnaire de bas étage.
Jamais Syphine Andromar.
Elle ne reçoit pas. Ne consulte pas.
Elle est le Terreau, rien de plus rien de moins...

Alors qu'une heure de plus s'est écoulée, et que l'apathie les gagne, nos protagonistes entendent le bruit d'une canne, et voient arriver vers eux une petite vieille toute ridée.
Seule, sans escorte. Ceux qui l'entourent ne font absolument pas attention à elle, et continuent de vaquer à leurs occupations administratives.
Le Terreau travaille, jour et nuit, depuis des siècles à ce rythme effréné.
Syphine Andromar se fond dans le décor. Elle n'est pas ignorée, elle est juste le décor faite femme.

Elle s'approche, et s'assoit avec une grimace sur un banc à côté d'eux..
Ces vieux os me font payer toutes ces années où je me suis assise dessus, geigne-t-elle avec irritation.
Vous désiriez me rencontrer, je crois bien ?


 
Petrorius

Le Julung 16 Saptawarar 1510 à 00h54

 
Je me dandine sur le banc en jetant des regards inquiets aux alentours : tout le monde va croire que je souffre d'hémorroïdes. C'est gênant.
En fait, j'ai juste le coccyx irrité...

Aviha Nelle et l'Ordinant sont silencieux. Je me tais également, ressassant mes pensées, heureusement distrait par la douleur lancinante qui me vrille le fondement. Elle fait diversion, tant que faire se peut, au néant qui me sert d'âme.

Pour m'occuper l'esprit, j'observe les fonctionnaires : ils marchent, ils courent, cela dépend. Tous affichent une mine à la fois affairée et lasse, stressée et blasée. C'est là une exclusivité mondiale, on ne voit cela qu'à la Pyramide du Terreau, place du Terreau, cité confraternelle d'Arameth. Essayez, pour voir.

Quant à la disposition des lieux, elle met les lois universelles de la topologie cul par-dessus tête. On dirait la chambre d'Esthor.
Esthor... comment va-t-il ? Je n'ai aucune nouvelle. Lui et les autres pupilles sont partis hier, ils doivent être à Eleudice, ou y seront ce soir. De leur point de vue, l'affaire est sans doute amusante ; et quelle aventure ! Ils sortent de la Perle !
Est-ce bien sage, ou pure folie ? Sont-ils bien à l'abri ?

Je suis tiré de mes angoisses par l'arrivée impromptue d'une noble ancêtre, plus fripée qu'un tarin de Krepion aviné.
Évidemment, je ne la connais pas.
Dans un premier temps, je fusille Hohen du regard : ma parole, il est tétanisé ! Croyez-vous que cette andouille endimanchée va se lever et lui céder sa place ? Ne voit-il pas dans quel état est la Grand-Mère ? N'a-t-il donc aucune éducation ??

Dieux du ciel, il est désespérant !

J'amorce le geste de me lever, lorsque monsieur Siam m'affranchit d'un laconique :


Siam dit :
Docteur ?
Voici la première Dame, Syphine Andromar, et sa cohorte de symbiote.


La fin de la phrase m'apparait nébuleuse, mais son entame, très claire.
Je me découvre, élégamment, et retombe à ma place.
Trop surpris pour parler.



Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Nelle

Le Vayang 17 Saptawarar 1510 à 10h39

 
D'un naturel patient, Nelle attend sagement et calmement.
A côté d'elle, le docteur se tortille sans cesse, sans doute à cause de problèmes d'hémorroïdes, ou de vers.
Aussi en jeune fille bien élevée, Nelle fait celle qui n'a rien remarqué, et garde le silence, que personne ne semble vouloir briser, tout en observant avec curiosité et une sorte de fascination amusée les allées et venues des fonctionnaires du Terreau.

Lorsque la petite vieille se pointe et vient s'assoir sur le banc voisin, Nelle est aussitôt avertie de son identité par ce troublant mécanisme de la symbiose. Poliment elle se lève et s'apprête à dire quelque chose... mais Knüt est plus rapide.

Le mou jaune se téléporte à une trentaine de centimètres du visage ridé sitôt la vieille dame assise, et s'exclame :


Knüt dit :
WHOUUUUUAAAAAAA !!! LE PIF !!!!

Dis mémé Dromar, t'es d'la famille à Krepion Loudmer ?!!
Nan sans dec, chuis sérieux !?!
T'as l'même reniflant qu'le vieux décrépi !
Exact'ment !!!!
Un tarin improbable, la terreur... le genre d'truc qu'on voit qu'une fois dans sa vie (mais qu'on n'oublie jamais)... et toi t'as LE MÊME !!!


L'image du Frère du Désordre, zoomant sur son nez, se forme dans les esprits un bref instant.

*** ***


Knüt dit :

T'es forcément d'la famille, c'est pas possible.
T'es sa frangine ?!

SA MERE ?!!!!!!


Nelle se fige, un court instant, puis retombe à sa place.
Trop consternée pour parler.


 
Hohen

Le Sukra 18 Saptawarar 1510 à 16h09

 
Ca y est, on est foutu. Mais foutu d'une rare finesse. On n'en a pas jusqu'au cou mais jusqu'aux cheveux. Non seulement on allait mourir mais là en plus, nous avons gagné le gros-lot avec tortures et tout et tout. Je savais que j'aurai pas du venir, je savais qu'accompagner un vieux fou suicidaire et une Témoin par nature cintrée était aussi intelligent que de proposer un régime végétarien à un furyan.

On va mourir dans d'ignobles et inutiles souffrances, et j'aurai même pas pu finir ma collection de galets peints. Et je ne parle même pas des autres trucs stupides que je voulais faire comme visiter Syfaria, devenir un grand majordome, aller à la maison des Dames, que mon paternel soit fier de moi au moins une fois, ce genre de trucs idiots.

Ah misère. Maintenant, j'hésite à m'évanouir maintenant ou attendre un peu juste par curiosité pour voir sa réaction et de quelle façon on va mourir.

Allez, je reste encore un peu. Comme si je pouvais fuir remarque...


 
Petrorius

Le Sukra 18 Saptawarar 1510 à 17h08

 
Sur mon petit calepin mental, celui qui m'est toujours fidèle, j'écris :

« Au grand jamais, ne doter Siam d'une bouche. »

L'intervention saugrenue du symbiote à casquette m'a paradoxalement remis sur les rails, comme l'eussent fait une douche froide ou un choc ambarique. Ce qu'il dit est si incongru, si décalé, qu'il est impossible de laisser s'installer le moindre silence, sauf à vouloir souligner l'irrévérence. Enchainer m'apparait dès lors comme une forme dérisoire mais réelle de banalisation, de dédramatisation de l'acte. Je ne tiens pas spécialement à savoir si cela amuse, indiffère ou glace notre dignitaire. Qui plus est, je soupçonne Hohen de frôler l'apoplexie.


Oui, ma Dame.

Aviha Nelle souhaite vous entretenir d'une enquête importante, qu'elle mène depuis plus d'un an. Je n'en dis point davantage, sa parole lui appartient.
J'entends pour ma part vous présenter les tenants et une partie des aboutissants d'un... complot, je ne vois point d'autre terme, dont la poussière en général et notre Confrérie en particulier sont les victimes.
Avih Hohen est présent en tant que témoin objectif, à la fois candide et greffier, si j'ose m'exprimer ainsi.


Et que patient en pleine thérapie, accessoirement.

Nous nous exprimerons dans l'ordre qui vous agrée.

Je n'ai point cité Knüt, qui n'a nul besoin d'aide pour s'inviter dans le débat...

Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Syphine Andromar

Le Dhiwara 19 Saptawarar 1510 à 14h32

 
Syphine regarda knüt, un instant interdite.
Je ne connais pas ce Loudmer.
Et je vous prierai, symbiote indiscipliné, de bien vouloir ne plus m'adresser la parole de la sorte.
Votre statut ne vous autorise pas à une telle incivilité...


Elle tourne son attention vers Petrorius, quelque peu irritée.
Je n'ai pas beaucoup de temps à vous accorder.
Faites au mieux, et au plus vite.


 
Petrorius

Le Dhiwara 19 Saptawarar 1510 à 15h33

 
Au mieux, soit. Je puis essayer.
J'espère simplement que Nelle n'aura pas réduit ses chances d'intervenir positivement à néant, du fait de son fantasque compagnon !

Il me faut quelques secondes pour recaler mes idées. Je ne peux me permettre d'échouer dans ma présentation. Massacrer le fond par une forme maladroite serait le comble de l'absurde. Cet entretien est l'aboutissement de cogitations suffisamment douloureuses et désespérées, point n'est besoin d'en rajouter.


Je vais faire vite, ma Dame.
Mais il m'est impossible de faire court, malheureusement.


Je parle à voix basse, en doublant mes mots de pensées à l'usage exclusif de Syphine Andromar. Cette précaution me garantit une certaine discrétion - je n'ai nulle envie de voir tout le couloir nous espionner - et une grande efficacité : fut-elle sourde comme un pot, notre Grand Chambellan recevra bien le message.

Alea jacta est


Je vous propose une relecture de l'histoire de la Poussière en général, et plus particulièrement de la notion de progrès, à travers une grille de lecture bien précise : celle consistant à dénoncer un vaste complot contre nos faction. Un complot dont les nemens sont les agents de fait, à défaut d'en être les responsables.

En préliminaire, permettez-moi de citer feu mon père, qui nourrissait des pensées peu amènes à l'endroit des sorciers. Pour la suite de mon propos, ceci a une grande importance :


Citation :
Je porte, sur la sorcellerie, un regard particulièrement critique. De mon point de vue, elle est dangereuse et castratrice. Détaillons cela.

La dangerosité des sortilèges n'est plus à démontrer. Les seuls à les comprendre vraiment sont évidemment leurs créateurs, à savoir les nemens qui, curieusement... s'en passent. Que diriez-vous d'un maitre-queux qui jamais, au grand jamais, n'accepterait de goûter ses plats ? Aurait-il votre confiance ?

Pourtant, cette question n'est point la plus préoccupante, selon moi. Après tout, nous usons des sphères depuis plusieurs siècles désormais, et nulle catastrophe épouvantable ne s'est encore produite. Je vais vous dire ce qui me choque le plus.

Lorsque je me suis engagé dans la voie de la médecine, je savais précisément ce qui m'attendait.
Les mandarins ne font plus fortune, depuis longtemps. Ils travaillent dans l'ombre, davantage pour écouter les gens que pour les soulager. Ils soignent, certes, mais lentement. Et maladroitement.
Ce résultat peu glorieux dont ils se prévalent leur coûte dix années d'études. Il demande un savoir solide et conséquent, un esprit rationnel, une certaine empathie.
Mais pourquoi se donner tant de mal quand le premier marabout venu peut, d'un simple claquement de doigts, réduire une fracture, refermer une plaie, guérir un cancer, régénérer un bras ? Un marabout qui ne sait rien du corps et qui soudain... s'en sort mieux qu'un professeur d'université.
Un homme de sciences aspire au savoir. Un sorcier cultive le pouvoir.
Ca n'a rien à voir.

Ne croyez pas que je sois méprisant. Simplement, je choisis mon camps.

La sorcellerie permet beaucoup, dans toutes sortes de domaines qu'il est inutile de bien connaître. En user est terriblement tentant, séduisant : d'un simple quidam, elle fait un thaumaturge...
C'est en cela qu'elle est castratrice :
D'une armure quelconque, vous pouvez faire une armure puissante... sans être forgeron. Vous ferez d'une grand-mère une coureuse de fond... sans l'entrainer, ni même parler sa langue. Comprenez-vous ?
Agir dispense de réfléchir. Pouvoir dispense de savoir.
Il y a bien longtemps, quel que soit le domaine considéré, la connaissance était le passage obligé de la compétence.
La sorcellerie a mis fin à cela.

Les nemens nous ont fait là un magnifique présent. Une délicieuse friandise, qui nous empêche de grandir et fait de nous d'éternels enfants.
A quoi bon développer les sciences ? La majorité des gens n'y voient qu'un tremplin vers la technique, autrement dit un levier de pouvoir, alors même que son rôle premier est d'édifier les êtres en leur donnant les outils conceptuels nécessaires à l'exploration de la réalité...
Cette confusion sciences / techniques est à l'origine d'un horrible malentendu : le savoir n'est plus considéré pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il permet, précisément. Et ce qu'il permet n'arrive pas à la cheville de ce qu'autorise la sorcellerie.
Cela est lourd de conséquence : le progrès balbutie, mon ami. Son moteur est grippé.
Les nemens nous ont joliment châtrés. Je leur tire mon chapon !


Analysons cette opinion à la lumière de ce que nous savons – ou croyons savoir – des temps anciens :
Lorsque nos ancêtres sont sortis des Piliers, ils étaient perdus et démunis. Voués à l'extinction, ils ont été sauvés par les nemens, qui leur ont donné la possibilité de se défendre par deux moyens bien précis :

En les aidant à concevoir une puissante sorcellerie,
En leur permettant de s'installer dans leurs villes.

En apparence, c'était là de l'altruisme. De fait, tant grâce à leurs pouvoirs paranormaux qu'au caractère inexpugnable des grandes cités, nos lointains parents ont résisté, ont survécu. De ce jour, n'en déplaise aux confrères orthodoxes qui se méfient des nemens sans vraiment savoir pourquoi, nous vivons dans l'héritage de nos hôtes bienfaiteurs.

Seulement, quelque chose cloche.

Nous n'inventons plus de sortilèges, depuis fort longtemps. Plus qu'un avis, c'est un fait. Nos sphères et leurs déclinaisons sont multi-séculaires. Le texte même que le défunt mage Yorazenor a retrouvé l'an dernier démontre, s'il en était besoin, que les anciens connaissaient la magie aussi bien, voire mieux que nous-mêmes. Aujourd'hui, nous peinons à produire un seul sort ; il y a cinq siècles, nos parents créaient des sphères entières...
Même si nous considérons que la sorcellerie est castratrice et tue dans l'œuf toute velléité d'initiative concurrente, notamment technologique, qu'est devenu l'immense savoir de nos prédécesseurs ? Pourquoi leur héritage ne nous est-il point parvenu ? Pourquoi sommes-nous incapables de faire, ne fut-ce qu'aussi bien qu'eux, alors qu'en vertu du sens de l'histoire, nous devrions faire mieux ?
Parce qu'ils sont morts ? Allons donc ! Leurs apprentis, leurs élèves, leurs disciples, leurs contemporains, eux, ont survécu. Nous sommes leurs descendants. Et ils ne nous auraient rien légué, rien du tout, d'un tant soit peu exploitable ?
Savez-vous comment le poète définit le progrès ? C'est être « assis sur des épaules de géant ». Cela signifie que l'histoire des connaissances est fléchée, du passé vers l'avenir. Elle a un sens. Sauf à subir des catastrophes épouvantables, à répétition, toute société va de l'avant : ses sujets s'appuient sur les savoirs anciens pour produire des savoirs nouveaux. Cette dynamique est inévitable, obligatoire, consubstantielle à ce que nous sommes : des êtres pensants en interaction. Sauf drames abominables, c'est là une mécanique qu'on ne peut gripper.

Or, aussi impensable que cela puisse paraître : elle l'est. Dans toutes les factions, l'histoire bégaye.

Je ne reviens point sur le cas précis de la sorcellerie, dont j'ai évoqué la nature éminemment castratrice : on pourrait en rester là, et considérer que cette particularité explique, seule, l'absence notoire de progrès en matière ésotérique comme scientifique. Mais est-ce suffisant ?

Voyons donc d'autres domaines d'expression de nos sociétés :

Je suis allé récemment chez les frères du Désordre, à Farnya. J'ai vu là-bas des inventions étonnantes, astucieuses. Oh, rien de révolutionnaire, rien d'extraordinaire, mais... le savoir-faire tchaë est néanmoins spécifique. L'on sent bien que la faction toute entière est polarisée sur la recherche de nouvelles machines, de nouveaux outils, de nouvelles armes. L'on sent bien que l'appétence certaine des farnyens pour la technologie repose sur quelque chose de profond, de quasi atavique. L'on sent bien que leur pragmatisme confine au mythe, que c'est l'âme même de leur société qui s'exprime ainsi, dans une course enfiévrée au progrès matériel. Même si ces gens sont d'excellents sorciers, il est patent que l'ésotérisme seul ne nourrit point toutes leurs aspirations, et qu'ils cherchent sans relâche de nouvelles façons de maitriser le réel.

Mais dès que l'on creuse un peu, que l'on gratte le vernis... que constate-t-on ?

Que de progrès, les frères du Désordre n'en font point. Que leurs plus belles machines sont anciennes, que leurs armes étonnantes datent des premiers siècles, que leurs inventions réputées sont héritées de leurs lointains ancêtres.

Sur leurs remparts, de vieux anneaux témoignent des pièces d'artillerie qu'ils possédèrent, un jour, et qui ont disparu. Dans les rayonnages de leurs bibliothèques, l'on trouve nombre de vieux ouvrages, rédigés dans une belle langue qu'ils n'apprennent pourtant plus, et qui regorgent de plans et de schémas non exploités. Dans leurs ateliers, les plus savants sont les plus âgés, et si vous prenez la peine de discuter avec eux... ils vous parlent de leur bouillante jeunesse, vous décrivent un monde disparu, avec des accents triomphants que tempère bien vite une immense mélancolie... et ils concluent, d'une petite voix, s'en excusant : « nous somme bien loin de ce que nous fûmes ».

Ces gens avaient des sapeurs qui, dit-on, pouvaient percer n'importe quelle défense ennemie. Si l'on se réfère à leurs légendes, ils possédaient même le secret du voyage entre les mondes. Même outrancièrement exagérée, qu'est devenue leur grandeur passée ? Pourquoi la flamme qui les anime ne produit-elle qu'une vague fumée ?

Prenons un exemple concret : Imaginez un jeune ingénieur fraternel effectuant son premier voyage en bateau volant nemen.
Que va-t-il faire ?
Il va parcourir les coursives en tous sens, bien observer la machinerie du bord, s'informer auprès des membres d'équipage, faire des mesures, prendre des notes, consigner ce qu'il voit, échafauder des hypothèses ; dès qu'il sera retourné à son atelier, il va pratiquer des expériences, construire des maquettes, des prototypes, réaliser des essais. Il va en parler autour de lui, monter une équipe ! S'il est moitié moins malin qu'un autre, l'autre en question lui soufflera le flambeau !
Et qu'arrivera-t-il, à terme ?
Lui, ou l'un de ses apprentis, reproduira le bateau. Ca prendra le temps qu'il faut, mais c'est inscrit dans le marbre. C'est ainsi que le progrès s'ébranle. C'est ainsi que l'histoire s'écrit. C'est ainsi que le monde avance.

Seulement voilà :
En matière de progrès technique, la Fraternité du Désordre fait du sur-place.

Comment est-ce seulement possible ??
Quel genre de phénomène peut ainsi figer, geler l'évolution de toute une société ?

Je ne vais point développer l'affaire faction par faction, je pense qu'à ce stade, vous aurez compris quelle est la question de fond que j'entends soulever :

Qui, et par quel moyen, englue toute la poussière dans un présent sans fin ?
Qui nous a volé, et nous vole encore, notre histoire ?

Revenons, si vous le voulez bien, aux deux « moyens » que les nemens nous ont donné pour survivre en Syfaria :

La sorcellerie,
Les cités.

Si j'étudie ces deux moyens sous l'angle précis d'un complot dont le but serait de nous clouer dans le temps, exactement comme un insecte est englué dans l'ambre, ils acquièrent soudain une signification qui n'a vraiment rien d'altruiste :

La sorcellerie est castratrice. A défaut de tuer toute forme de progrès, elle s'avère si puissante et si versatile qu'il faut une sacrée dose de caractère et de persévérance pour décider d'améliorer son sort et celui de son prochain via un autre moyen. Je reviens brièvement sur l'exemple des soins, qui m'est particulièrement cher : ce que je peine à faire au bout de dix ans d'étude, le premier apprenti du Limonaire venu l'exécute très bien en moins d'un trimestre...
Oui, la magie nous handicape, en quelque sorte. Mais elle ne peut, à elle seule, tuer l'avenir. Elle ne peut que ralentir son avènement. Il se passe quelque chose d'autre, quelque chose d'infiniment plus grave.

Cette autre chose est tapie au cœur de nos villes.

J'ai appris, il y a de cela plusieurs mois, que la réalité qui nous entoure faisait l'objet d'une dérive, d'une altération lente et subtile.
Les plans de nos villes changent, insidieusement.
Une poignée de personnes s'en est rendu compte, parce que cette dérive provoque d'infimes paradoxes, des contradictions, qu'il semble possible – si l'on sait où regarder - d'observer dans notre environnement.
Lorsque j'ai appris cela, pour tout vous dire, j'ai sérieusement envisagé de faire interner l'auteur de cette idée. Comment pouvais-je accorder foi à un phénomène aussi invraisemblable ? Quelle en serait la cause et surtout : quelle en serait la finalité ?

C'est en me posant cette dernière question que j'ai compris, j'ose le croire, ce qui nous arrive :

Je vous ai dit que l'histoire ne pouvait être stoppée, qu'elle s'entretenait d'elle-même, parce que le progrès possède sa propre dynamique et touche à tous les domaines de nos sociétés. J'ai cité les mots du poète, qui l'explique en terme de transmission et d'héritage. Si nous sommes capables de faire mieux aujourd'hui qu'hier, et moins bien que demain, c'est parce que nous avons de la mémoire : elle est le carburant de l'intelligence, carburant sans lequel cette dernière tourne à vide.

Donc, si vous dénaturez les souvenirs de quelqu'un, que se passe-t-il ? Il pense en rond. Il passe sa vie à tout redécouvrir. Et il ne lègue rien.
Le crime est parfait, car votre victime – qui ne dispose d'aucun point de repère extérieur - ignore ce qu'on lui fait.

Considérez maintenant nos sociétés :

Si, d'une façon ou d'une autre, vous corrompez la mémoire de toute une faction, si vous détournez toutes les formes de témoignage qu'elle produit de son passé, vous la paralysez. Vous la condamnez à balbutier, jours après jours, siècles après siècles. Vous la pétrifiez. Vous la fossilisez.

Or, quelle est la conséquence du réarrangement permanent et invisible de nos plans d'urbanisme ?

Puisqu'il est invisible, précisément, c'est que tous les héritages qui lui sont référents sont réécrits. Sans cela, nous aurions découvert le pot-aux-roses depuis longtemps. Le problème, c'est que chacun de ces témoignages – plan, schéma, cadastre, tableau d'époque, roman, compte-rendus administratifs, liste d'adresses, etc. - s'insère dans un réseau complexe d'interactions, de connaissances croisées : des adresses découle le prix du foncier. Ce dernier est en rapport avec le statut de l'habitant, qui lui-même dépend de son métier. Un métier détermine des revenus, des activités, des discours, des choix de toute une vie...
Les villageois, liés aux urbains par des liens familiaux, des transactions commerciales, des échanges de courriers... sont également atteints.

Autrement dit : en touchant à une pièce de l'édifice, vous mettez l'ensemble du système en branle. Comme dans un jeu de dominos, la structure se distord, s'écroule et se recrée pour que l'intégralité des contradictions et des paradoxes nés de l'altération... s'efface. Toute la poussière, qui vit en réseau et interagit sans cesse, est affectée !

Les frères du Désordre ne peuvent s'appuyer sur les travaux de leurs pères, car ils sont obsolètes : les calculs sont faux, les plans imprécis, les schémas biaisés et les principes mensongers. Les plus grands mages ne peuvent exploiter le savoir de leurs anciens maîtres, car il n'est plus compréhensible : le monde qu'ils connaissaient n'est point celui que nous croyons.
La sorcellerie, la technologie sont au diapason du reste : en fait, il n'est nul domaine de la pensée, nulle forme de progrès, qui ne voit ainsi son élan brisé ! Nos héritages sont mutilés. Notre passé est caduque. Nos factions sont bâties sur le sable. Nos fondations sont de poussière.

Notre rapport au temps en est désagrégé. Il n'a plus de direction privilégiée, car le passé et l'avenir ne sont plus distincts l'un de l'autre :
Normalement, si j'ose dire, le passé est parfaitement déterminé, et l'avenir incertain. Ballotés sur le fleuve du temps, nous naviguons du connu vers l'inconnu. La dissymétrie de son cours permet de définir sa direction globale.
Mais voici que cette dissymétrie n'est plus...
Le passé est tout aussi flou que l'avenir, désormais, car il diverge. En amont comme en aval, le fleuve temporel se perd dans le brouillard. Notre histoire, à l'instar de notre destin, nous échappe.
C'est une situation inédite, scientifiquement extraordinaire.
Philosophiquement, elle est abominable : il nous est impossible d'évoluer. Non contents d'être bornés dans l'espace, nous nous découvrons enclavés dans le temps !

Les « géants » du poète, dont nous foulons les épaules, sont des colosses aux pieds d'argile. Questionnez-les, et ils s'effondrent.

Je dénonce un complot d'envergure globale, dont la finalité manifeste est de paralyser nos sociétés.
Englués dans le présent, punaisés comme des papillons sur la frise de l'histoire, nous procrastinons, condamnés à stagner.
Cet état de fait est la conséquence du don, par les nemens, d'une sorcellerie sans concurrence mais surtout, surtout... de cités capables d'altérer ce qu'elles sont et ce qu'elle contiennent.

Je ne sais si les nemens sont l'âme, ou de simples exécutants, du complot qui nous afflige.
Sont-ils seulement capables de l'appréhender ? Sont-ils aveugles à l'impermanence que nous chérissons ?
Devenir a-t-il le moindre sens, lorsqu'on est immortel ?


Un ange passe.

Sur le moment, j'ai cru que la symbiose pouvait nous sortir d'affaire.
Puis j'ai réfléchi :
La symbiose bouscule, mais ne contrarie point le processus de sape qui s'attaque à la mémoire vive de nos factions. Tout au plus rend-elle notre actualité plus bouillonnante, plus effervescente. Tout au plus nous donne-t-elle une belle maîtrise du temps présent. Mais elle ne reconstruit point notre passé perdu, et de ce fait, nous laisse plantés au seuil de l'avenir.
Puissants dans l'instant, impuissants dans le temps.

Aviha, une érudite de votre acabit connait l'expression « vivre dans une cage dorée ».
Jamais, je crois, cet adage n'aura été plus adapté qu'à notre situation.
Arameth, Farnya, Jypska, Lerth, etc., sont d'extraordinaires prisons. Non pour leurs habitants, mais pour leurs sociétés. Sur le plan individuel, chacun peut en sortir, quand bon lui semble.
Mais sur le plan collectif... nous sommes, au sens pur du terme, privés de liberté.


Je plisse les yeux sous l'effort de la concentration. Sur ces questions, je taquine mes limites en permanence. Cet entretien me vrille la cervelle et m'oppresse le cœur, j'ai l'impression tenace et pénible d'étouffer à mesure que je m'exprime. Je ne peux pourtant m'offrir le luxe d'une pause, encore moins d'un malaise. Car je n'ai point fini mon exposé.

Demeure un dernier petit mystère, si je puis m'exprimer ainsi :

Comme vous l'avez compris, le phénomène susdit a été détecté parce que selon Ed... euh, selon ma source, de très légers paradoxes, ou d'infimes contradictions, ont été repérés par un ou plusieurs observateurs.


Du calme. Je me suis repris à temps.

C'est quelque chose qui m'a semblé, dès le départ, hautement suspect : en effet, la complexité d'un réarrangement global du réel à l'échelle d'une société est telle que je m'imagine mal le voir incomplet, ou mal fait... sans raison majeure.

Et puis, je me suis dit que cela pouvait traduire une immunité. Celle d'une personne, ou d'un tout petit groupe de personnes.

Imaginez que parmi nous évoluent une poignée de gens, seuls à ne point subir les effets pervers de la dénaturation de nos savoirs, parce que leur durée de vie est à l'échelle de la durée de vie d'une civilisation. Leurs propres souvenirs demeurant inaltérés, ils imposent - par leur existence même - une incroyable gymnastique à la réécriture de l'histoire, qui ne peut dès lors plus être parfaitement exécutée. Ils sont, en quelque sorte, le grain de sable qui perturbe la formidable machine ! Conséquemment, des erreurs apparaissent...

Il faut que ces gens soient très peu nombreux, sans quoi les hiatus seraient fréquents et bien visibles.
Ils faut que ces gens vivent longtemps, sans pour autant être immortels, sans quoi ils seraient transparents à la dynamique de l'histoire. Ils ne sont donc point nemens.

Ce rôle, Aviha, est celui des êtres premiers-nés.


Il y a des taches colorées qui dansent en périphérie de mon regard. Ce n'est pas bon !
Je marque une pause, j'ai besoin de respirer. D'une voix rauque, j'ajoute pourtant :


Ces cités, que nous voulons tant sauvegarder, sonnent le glas de nos destins.
Nous devons, au contraire, les... les...


Les quoi ? Les quitter ? Ce serait la mort assurée ! On ne peut point quitter les villes !
Nous devons les rendre inoffensives. Il n'y a pas de verbe véritablement capable d'exprimer ce que j'ai en tête. Alors je dis :


Les... neutraliser.

Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Nelle

Le Dhiwara 19 Saptawarar 1510 à 17h42

 
Après la réponse de la vieille dame à son mou, Nelle s'autorise une salutaire respiration. Et une vive réprimande muette envers son mou avant que ce dernier n'en rajoute une couche.
Mais il n'est visiblement pas totalement irrécupérable, car il se contente d'un sourire énigmatique et d'un "Ouimdame !" avant de se retéléporter sur l'épaule de Nelle.
Sans se départir de son sourire satisfait, et sans quitter des yeux la dignitaire, toutefois.
Sa "défense" consistant à prétendre ne pas connaitre Krepion ne l'a pas dupé, ça non ! D'ailleurs, elle n'a aucunement nié ce lien de parenté : voilà tout ce qu'il faut retenir d'essentiel ! Syphine est la mère de pépé Krepion, c'est désormais une certitude !
D'ailleurs, sa mauvaise humeur vient témoigner de sa contrariété à voir son petit secret de famille éventé, cela ne fait aucun doute. La messe est dite !

Nelle, quant à elle, a rapidement balayé l'incident pour écouter avec attention la fameuse révélation du docteur. Concentration d'autant plus nécessaire que le bougre chuchote et qu'elle se voit obligée de se pencher vers la petite vieille -le plus discrètement possible- pour l'entendre !
Car bon, il l'a bien faite venir pour cela, non ?

Lorsque que finalement le docteur termine son exposé, Nelle se redresse un peu, mais garde le silence : elle aurait bien un certain nombre de remarques ou de questions à formuler, mais voilà : la Grande Chambellan vient de dire qu'elle n'avait pas beaucoup de temps à leur accorder, alors il n'est certainement pas question d'entamer maintenant et en ce lieu un débat qui pourrait s'avérer tout sauf court.
Or après les frasques de son mou, Nelle préfère autant faire profil bas et ne pas à son tour contrarier la dignitaire.

Elle regrette d'autant plus que le confrère n'ait pas voulu lui faire part de sa théorie avant cet entretien : il présente du coup une ébauche faite de convictions, dont certaines se basent visiblement sur des données faussées, plus qu'il ne dénonce un complot avéré...
Refoulant sa frustration, la jeune propage garde donc le silence, guettant sagement la réaction de leur hôtesse.


 
Hohen

Le Matal 21 Saptawarar 1510 à 13h45

 
J'écoute, aussi impassible que quelqu'un qui comprend qu'il met les pieds dans un truc trop gros pour lui et qu'il risque de mourir pour avoir été là au mauvais moment et au mauvais endroit. J'ai du mal à tout saisir, mais je pense avoir eu l'idée principale. Malheureusement d'ailleurs. J'admire le travail rigoureux et propre offert par le cortex confrère mais je n'ai aucune façon de savoir si ce qu'il dit est pure bêtise ou géniale invention. Comment puis-je faire pour critiquer quelque chose d'aussi complexe et qui échappe totalement à mon intelligence pour le moins limitée ? Comment puis-je faire pour critiquer quelqu'un d'aussi érudit alors que j'ai du mal à faire mes lacets ? Mon silence sera une fois de plus la meilleure réponse à fournir. J'ai toujours la question du pourquoi de ma présence ici mais je me dis que je n'aurai jamais la réponse.

Chacun semble plongé dans ses réflexions et je ne vais pas briser ce court laps de temps où nous sommes encore vivant. La Témoin semble aussi silencieuse que la Grande Chambellan. Chacun prend le temps de digérer l'exposé fleuve du Docteur. Pour ma part, j'ai frôlé l'indigestion.

Il ne me reste plus qu'à attendre qu'on vienne nous égorger. Toutefois, mon sens de la curiosité pour le moins paresseux a été piqué au vif. Je suis content d'avoir pu découvrir cette théorie, un peu paranoïaque, mais captivante comme les histoires racontées par les bardes. La réaction de la Grande Chambellan s'annonce intéressante.


 
Syphine Andromar

Le Matal 21 Saptawarar 1510 à 23h29

 
Syphine se dandine un instant sur son siège.
Elle a tout écouté sagement. Certes, elle a bien haussé les sourcils une fois ou deux, mais elle n'a pas interrompu le Doc ni fait de remarque muette.
En réalité, elle semble intéressée et interloquée à la fois.

Docteur Petrorius, vous vous inquiétez et je le comprends.
Oui, nous sommes peut être bridés. Émasculés.
Les causes sont importantes, mais peu importe.
Les effets sont là. Nous stagnons. Voir nous régressons sans doute sur certains aspects élitistes, je vous l'accorde.

Mais nous sommes en vie.
Nos peuples sont en vie.
Et cela, ce sont les cités et la sorcellerie qui nous l'a permis.
Sans ces deux éléments, nos ancêtres n'auraient pas tenu.
Il n'y a pas eu que ça, bien sur, mais ce sont les deux murs fondateurs de nos premiers siècles.

Aujourd'hui est différent.
Pouvons nous passer outre la protection des cités ?
Sans doute.
Mais pas longtemps si nous subissons un assaut massif.
Nous sommes dix mille à Arameth.
Rien que les Arkoniens sont estimés à 120 000...

Croyez vous que nous pourrions résister s'ils décidaient de venir nous éradiquer ?
Certes, nous avons de nouvelles possibilités.
D'autres alternatives. Diplomatiques entre autre.
Mais franchement, autant je cautionne la pensée, qui n'est sans doute pas dénuée de fondement, autant vos conclusions sont à mon sens inapplicables.
Pour ma part, je vois les découvertes récentes sur les cités comme une simple information : elles sont autonomes, nous protègent et je leur fais confiance.

Et de plus, j'ai un principe, Docteur.
Lorsque je ne peux rien y faire... je ne m'en tracasse pas.


 
Petrorius

Le Merakih 22 Saptawarar 1510 à 01h12

 
Je souris, malgré moi, séduit par cette dame sans âge dont je perçois quasi physiquement la roublardise parfois cruelle, parfois bienveillante.
Deux perches me sont tendues. L'une me propose d'en rester là, l'autre non.

Dans le premier cas, le constat est accepté, et... et demeure sans suite, faute d'application possible. Je m'adresse à une gouvernante, pragmatique et prévoyante, adepte de l'adage : Pas de solution ? Alors, pas de problème.
Dans le deuxième cas, le constat est là, mais... mais j'ai quelque chose de réaliste à proposer. Un projet politique. Sinon, je brasse de l'air et Syphine Andromar perd son temps.

Il n'y a point d'alternative. J'ai quelques secondes, au mieux, pour me décider. Et là, une idée me vient :
La dignitaire me pose une question claire, qui pourrait sembler de pure rhétorique : « si 120.000 arkoniens décidaient de nous éradiquer, pourrions-nous leur résister ? »

La réponse est non, bien évidemment.
Mais en l'occurrence, nos villes n'y sont pour rien !


Ma Dame, si les natifs de ce monde voulaient notre mort, morts nous serions. Depuis longtemps.

Point n'est besoin, pour nos ennemis potentiels ou déclarés, d'assiéger la Perle. Il leur suffit de prendre une mine. Une : que tombe la source unique de sel de Syfaria, et nous sommes perdus.
Elle est située hors de nos murs, loin des remparts. Aucune escouade poussiéreuse - forcément dérisoire en effectif, voire en puissance - ne saurait tenir tête à des légions Arkoniennes ou Vortex.
Quant aux rejetons...


Un seul a failli écraser nos faubourgs.

Qu'en déduire ? Que les dits natifs, pour ne citer qu'eux, ne souhaitent pas nous éradiquer.
Ce qu'ils veulent, ils l'ont fait savoir aux tchaës d'Oriandre, lors du siège de la capitale fraternelle : abattre les cités.
Sans doute est-ce pour cela qu'ils n'ont jamais, à ma connaissance, détruit nos villages... si fragiles, et si mal défendus.

Alors, ma Dame, la question qui se pose désormais est peut-être celle-ci :
Et si notre moyen de défense, à savoir les cités nemens, était précisément la cause des menaces que nous subissons ?

A ce stade, vouloir préserver les « pouvoirs » de nos cités semble pourtant pertinent : cette stratégie nous a réussi six siècles durant, c'est un argument de poids.
Si cette évidence n'était point devenue caduque, je me tairais...
Mais le consensus résonne d'une rumeur tenace : les nemens, dit-on, déclinent. Les poussiéreux les mieux informés disent qu'ils vont disparaitre.
Si cela est avéré, le Pk'hen S'sarkh et ses rejetons vont perdre leurs ennemis jurés. Nous serons les seuls à les contrarier...

Dans ce cas : ne devient-il point urgent, pour ne pas dire vital, de nous rapprocher des peuples natifs ?


Je murmure, à la limite de l'audible :

En neutralisant nos cités. Ce qui, accessoirement, tuerait dans l'œuf le mode opératoire du Tark'Nal.
Et nous offrirait une histoire...


Les natifs ! Sont-ils si... différents ? Que sommes-nous donc, tchaës, neldas, tydales, sinon des natifs ?
Est-ce à eux que Syphine pense, en parlant « d'alternative diplomatique ? »
Je l'espère sincèrement. Sinon, je parle dans le vent.
La Grand Chambellan tranchera...
Et j'en resterai là.


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Syphine Andromar

Le Julung 23 Saptawarar 1510 à 22h31

 
Les natifs ne veulent pas nous détruire, non, vous avez raison.
Pas tous. Pas tout le temps.
C'est un statu quo fragile, entretenu entre autre par la puissance Nemen.

Les peuples de Syfaria, hormis les rejetons, ont déjà perdu des guerres contre les Nemens, ils ne souhaitent pas se les mettre à dos.
D'où notre relative tranquillité. Relative, car sans la protection des cités, ils pourraient en déduire que nous avons perdu le soutien Nemen.
Ou qu'ils s'affaiblissent.
La situation est complexe, trés complexe...

Les rejetons ne sont alliés avec personne.
Les buts du P'KhenS'sarkh restent obscurs, nébuleux. Je pense même qu'il est complètement dingue, pour ma part.
Les natifs respectent ses armées.
Que ses troupes n'aient pas attaqué notre mine, comment dire cela...
Disons que nous avons su, à la Confrérie, faire en sorte de protéger nos arrières.

Mais vous avez raison une fois de plus : se rapprocher des natifs est une option intéressante en ces temps tumultueux, bien qu'ils n'aient aucune structure centrale.
Mais là encore, les cités nous restent utiles en l'état. Comme moyen de pression.
Et...
Et de toute façon, nous n'avons aucun moyen de "neutraliser" les cités à ma connaissance.
En avons nous un ?


 
Petrorius

Le Sukra 25 Saptawarar 1510 à 11h19

 
Tandis que nous dialoguons, trois phrases énoncées par la Grand Chambellan titillent soudain mon entendement :

- Les arkoniens sont estimés à 120.000
- Ni eux ni les rejetons n'ont attaqué notre mine... Nous avons su, à la Confrérie, protéger nos arrières
- Les natifs n'ont aucune structure centrale

En résumé :

- Le Terreau a suffisamment d'informations sur les natifs pour prétendre connaître leur effectif approché et même leur absence de structure politique centralisée.
- Notre faction possède déjà les moyens de se prémunir de leur attaque.

Ce deuxième point est le plus incroyable, pour ne point dire plus. Je suis stupéfait par ce qui filtre entre les lignes, dans le discours de Syphine Andromar. Le décalage entre ce qu'elle sait, et ce que nous savons, déséquilibre complètement notre discussion...

Alors, je crois comprendre quelles sont les règles implicites que la dignitaire nous impose : la déranger se mérite.
C'est à nous de repriser les trous béants qui grêlent le tissu de notre piètre savoir.

Un bref instant, je maudis la cohorte de mes prédécesseurs symbiosés, qui thésaurisent l'information dans le but inavouable de se maintenir au pouvoir de la plus médiocre des façons. Mais il faut reconnaître à la manœuvre, détestable entre toutes, une puissante vertu : elle oblige leurs pairs, pour le moins, à faire preuve d'une certaine... sagacité.

Soit. Je fais fonctionner ma cervelle : pourquoi en savons-nous tant sur nos ennemis déclarés ? Pourquoi notre mine de sel n'est-elle point attaquée, par les natifs, les rejetons ou cette organisation qui se nomme elle-même « la coalition » ?
Deux questions, une solution :

Nous leur négocions du sel.

Les rejetons eux-mêmes intègrent dans leurs rangs des gens comme Kysall, la tydale venue du Matriarcat. D'anciens poussiéreux, apparemment, qui sont tout aussi dépendants que nous vis-à-vis de cette ressource. Or donc, s'engager dans une guerre du sel est un risque énorme et surtout, inutile ; s'il nous est impossible de tenir la mine, il est cependant aisé de la détruire.

Et qui peut détruire quelque chose, contrôle cette chose.

Ma perception des faits, soudaine, se voit : j'écarquille des yeux, fouillant ceux de la vieille dame pour y pêcher une confirmation. Un désir-réflexe, que je n'entends point voir exaucé, mais qui m'aura trahi. Je détourne aussitôt le regard, observant mes mains agitées comme s'il s'agissait d'acteurs en pleine représentation. Ce que je comprends, je ne puis le dire. Car cette fois, il en va de la sécurité de la Confrérie ! Si nos voisins apprennent que nous commerçons, en quelque sorte, avec « l'ennemi »... que nous troquons notre tranquillité contre quelque chose que les autres poussiéreux n'ont point, nous garantissant ainsi une avance irréductible dans de futures négociations (car cet avenir-là me semble incontournable), je présume qu'ils prendraient cela avec une certaine acrimonie !

J'écarte les deux mains, les regarde puis secoue la tête, comme un joueur de poker qui se plaint d'un beau jeu devenu inutile :


Nous protégeons nos arrières. Je suis... impressionné, ma Dame.
Nous sommes donc en relative sécurité, je vous l'accorde. Il n'y a point urgence à fragiliser nos cités. Ceci étant, pour vous répondre : nous avons, de fait, un moyen de les neutraliser. Lorsque le moment sera venu.

Je suis allé piocher, dans les tréfonds de notre consensus, les informations suivantes :


Citation :
Les villes nemens sont partiellement conscientes, et ces consciences sont évidemment proches de nous.
Elles sont des protectrices, des gardiennes de vie. Elles n'existent que pour la vie qui les habite.
Elles se corrompent et deviennent dangereuses, mortelles pour qui habiteraient leurs murs.
Elles envisagent de cesser d'exister.
Ainsi, plus aucune corruption ne pourra les atteindre et les cités seront inatteignables aux actes de Loïa.
Évidemment, ce serait une solution, je le concède...
Une solution plus sure. Il n'y aurait aucun risque à court terme.
Elles cesseraient d'être des cibles que les effluves peuvent rendre invivables, et il y a même une chance non négligeable que les cités déjà corrompues redeviennent saines.
Mais elles seraient mortes. A jamais.
Et si leurs murs resteront intacts, la protection qu'elles assuraient en repoussant les rejetons cessera aussi.
Vos villes deviendront vulnérables.
Si vous prenez cette décision, il vous suffira de répondre à l'interrogation des cités.
Je crois qu'elles vous écouteront
et que cela emportera leur décision...


Elles nous viennent de la visiteuse nemen actuellement logée dans les faubourgs, et ont été délivrées à la Propage Aviha Nelle.

Je me tourne vers la Témoin du S'sarkh.

Je ne vous présente point cette très jeune personne, notre consensus résonne de ses paroles. Elle partage - parfois à sens unique - ce qu'elle apprend avec toute la poussière. Et il se trouve qu'elle apprend vite, bénéficiant de contacts qui feraient pâlir de jalousie notre diplomatie. Si nous en avions une.

Ca, c'est fait. In memoriam, Bokro.

S'il est quelqu'un qui pourra nous instruire de ce qu'il convient de faire pour s'accorder les bonnes grâces de nos cités, c'est bien elle.
Avec votre permission, je vais maintenant lui céder la parole et conclure simplement sur ceci :
Aviha la Grand Chambellan Andromar, le jour où vous souhaiterez engager un dialogue ambitieux avec les populations dites « natives » de Syfaria, je vous en conjure, pensez à ma personne. Je m'y intéresse depuis longtemps, scientifiquement parlant, en sus des considérations politiques dont nous avons parlé.


Ou presque parlé.

Quoi qu'il en soit, je vous suis infiniment reconnaissant du temps que vous m'avez accordé.

A ma petite voisine de jouer.

Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Nelle

Le Dhiwara 26 Saptawarar 1510 à 20h40

 
Nelle se redresse prestement, rougissante, comprenant que cette fois-ci on attend qu'elle s'exprime à son tour.
Mais faire court est-il toujours d'actualité ?
Oh et puis zut...


Permettez-moi, avant de répondre à ce dernier point, de revenir sur quelques réflexions qui y ont mené... puisque moi aussi je prend connaissance en cet instant de vos réflexions, avih Petrorius.

Concernant votre avis -ou celui de votre père, peu importe puisque visiblement vous le faites vôtre également- sur la sorcellerie, je ne le partage pas vraiment. Parce que je suis moi-même arcaniste, me direz-vous... mais j'espère avoir la capacité d'un peu plus de recul.

Je ne crois pas la sorcellerie si castratrice, au contraire, d'une part car malgré le tableau que vous en dressez, notre panel de possibilité dans ce domaine est justement absolument restreint.
Nous jouissons d'un nombre considérable de sortilèges, si nous avons la capacité à maitriser plusieurs sphères, mais au fond leur domaine d'action reste limité : soin, survie, combat... aucun sort ne produit de la nourriture, de l'eau, ne chauffe une chaumière l'hiver, ne fait marcher un métier à tisser ou ne file la laine... aucun sort n'équivaut ou ne remplace le savoir d'un ébéniste, d'un coutelier, d'un forgeron, d'un architecte, d'un tailleur de pierre, d'un mineur... je m'arrête là, mais la liste est très, très longue, vous en conviendrez.

Nos sorts renforcent, amplifient, réparent... mais en aucun cas ils ne remplacent, ou rendent futile la compétence, la science, ni le savoir.
Surtout à l'échelle de nos populations : la symbiose nous rend plus forts, plus polyvalents, plus aptes... mais nous ne sommes que quelques privilégiés, ne l'oublions pas : un non symbiosé ne devient pas un puissant thaumaturge d'un claquement de doigt, avih. Son apprentissage d'une sphère de sorcellerie -une seule- prend des années, et est aussi long et fastidieux que la science de la médecine.
Je sais par exemple lancer des sortilèges étonnants -pas au point de faire repousser un membre, cela dit- mais je n'oublie pas que je dois de telles prouesses à la symbiose, essentiellement.
Sans mon mou, je serais à cette heure certainement en train de travailler des heures et des heures avec l'espoir de parvenir à lancer d'ici la fin de l'année une aura de renforcement.

Bref, si l'on ne fait pas une généralité de la minorité que représentent les symbiosés, le tableau est à mon sens bien, bien loin de celui fort pessimiste que vous dressez, avih Petrorius.

Ensuite, je vous avoue ne pas être non plus complètement d'accord avec votre point de vue sur le progrès.
En ce qui concerne notre évolution en sorcellerie, je vous rejoins : le fait que nous ayons perdu les connaissances nécessaires à la compréhension et au développement de cette discipline est absolument surprenant... et porte au questionnement. Indéniablement...

Pour le reste, par contre... votre dernier séjour à Farnya fut court, parait-il, je suppose donc que cette grande connaissance de la faction du Désordre vous vient de voyages antérieurs... mais pour autant, je ne peux que vous contredire : de ma propre expérience et de mes rencontres à Farnya ces trois dernières années, je peux vous affirmer au contraire que la science, la connaissance et la recherche Fraternelles sont loin de faire du sur-place.

Pas plus tard qu'il y a trois ans, par exemple, un savant a presque mis au point une étrange machine, destinée à nettoyer les rues. Une machine auto-mobile, étonnante, mêlant mécanique et sorcellerie de façon pour le moins innovante...
Presque, car ledit savant est mort au cours d'un essai pratique de sa création à l'issue dramatique... mais il n'en reste pas moins que les résultats étaient là, au moins en partie. Je ne sais si ses recherches ont été reprise, mais le cas échéant je ne doute pas qu'elles le seront un jour ou l'autre, et qu'elles finiront par aboutir à un résultat parfaitement viable. Cela prendra peut-être cinq ans, dix ans, quinze ans... mais c'est un paris que je n'hésiterais pas à prendre.

Ce n'est qu'un exemple de l'esprit inventif du peuple tchaë qui est loin d'être en panne, mais je ne suis certainement pas la mieux placée pour en témoigner : l'Erudite ou le Précepteur pourraient certainement vous fournir bien d'autres exemples démontrant que le progrès est bel et bien en marche, et non en cale sèche depuis des siècles.

Si elle ne craignait pas pour la santé du docteur, Nelle serait d'ailleurs assez curieuse de voir la tête outrée de Gorgo face à telles calomnies...

Vos connaissances approfondies et poussées dans la science de l'acoustique me laissent d'ailleurs penser que la Fraternité n'est pas la seule faction à oeuvrer dans ce sens, docteur.

Bref, là encore je trouve que vous dressez un tableau bien sombre... plus qu'il ne l'est vraiment.
Or c'est sur ces deux fondements que j'estime pour ma part quelque peu biaisés que se fonde votre raisonnement... En partie. Vient ensuite cette particularité des cités nemen sur la topographie de nos cités.
Je me rappelle que monsieur Edaregord avait, lors de cette découverte, tout comme vous soulevé la question de la confiance que nous pouvons accorder en notre propre histoire.

Pour ma part, c'est une question que je trouve très légitime : nous pouvons effectivement nous la poser... mais je ne crois pas que nous ayons pour l'heure suffisamment d'élément pour y répondre, dans un sens ou dans l'autre.

Vous partez du principe que cette action invisible des cité corrompt notre mémoire dans son ensemble, amenant nos sociétés à tourner en rond indéfiniment... Mais on peut aussi bien penser que ces modifications sont mineures, infimes. Qu'ils ne concernent que le domaine très restreint de la topographie de détail : que ce sont des centimètres, et non des rues entières, qui changent.
Que ces changements s'étalent lentement au fil des années, voire des siècles, et qu'à l'échelle de nos peuples ils sont insignifiants.
Ou bien, radicelement l'inverse...

Qu'en savons-nous, au fond ?
Nous n'avons aucune certitude...

Votre faction n'apprécie pas les nemens, s'en méfie, alors cette information vous alarme... vous fait voir un complot.
La mienne au contraire, entretien de bonnes relations, de confiance, avec ce peuple. Alors cette information m'intrigue, mais ne m'inquiète pas.
D'autant que les nemens ont élaboré ce système et ces cités avant tout pour eux-même... : contrairement à la sorcellerie poussiéreuse, ils en ont joui pendant des centaines d'années avant de nous les confier.
Au contraire, pour ma part savoir que les cités nous protègent me semble... rassurant.
Car comme le souligne madame Andromar... le statu quo est fragile. Nos villages sont attaqués, régulièrement.

Alors oui, comme le dit monsieur Petrorius, nous avons effectivement, potentiellement... un moyen de tuer les cités.


Autant dire les chose telles qu'elles sont.

Mais cela nous mettrait certainement les nemens à dos, d'une part.
Sans forcément nous attirer la sympathie de natifs, des rejetons, ou des autres créatures face auxquelles nous serions alors vulnérables, d'autre part.
Et s'avèrerait peut-être être la solution à un problème... qui n'en est pas forcément un.


Nelle marque une brève pause, avant de conclure modestement :

Cela n'est que mon propre avis, et mes points de vue sur ces sujets, docteur, madame Andromar.
Si je devais me prononcer, personnellement, sur ce choix qui nous est présenté... je n'y serais pas favorable, en l'état actuel de nos connaissances et de nos possibilité.
Mais j'ai bien conscience que beaucoup de choses me dépassent, dans ce problème pour le moins complexe.


 
Petrorius

Le Luang 27 Saptawarar 1510 à 10h52

 
Nous mettre les nemens à dos ?
J'ai le sentiment qu'à l'heure actuelle, compte tenu de leur extinction annoncée, ce que nous pensons d'eux est le cadet de leurs soucis...

Je ne me formalise point des propos de la jeune dame. J'éprouve, en fait, une certaine... tendresse ? à son endroit. C'est une conséquence mécanique de son âge, qui n'excède guère celui de mes enfants. Comment pourrait-elle prendre ce que j'annonce avec bonne grâce ? Apprendre que l'on a pas d'histoire, que l'existence même de la société qui vous abrite cache un néant métaphysique en son sein et que le temps, le temps... est inconsistant... s'avère pénible, à mon âge. Mais au seuil de ma vie, il s'agit de mon passé. Pour Nelle, je tue l'avenir ! Le voir ainsi détruit, en quelque sorte, doit être assez insupportable.
Nier ce qui vous blesse est plus commode que l'affronter. C'est un réflexe classique, qu'en tant que praticien, je ne connais que trop bien.

Je reprends, en essayant d'évacuer toute forme de prétention dans le phrasé :


Croyez bien que vous présenter les choses telles qu'elles sont ne me met aucunement à l'aise. Mon métier m'impose suffisamment ce genre d'exercice et d'ordinaire... je m'en passerais bien. Mais les faits sont têtus, ils se moquent de nos à-priori et se font un devoir de nous recadrer si nécessaire.

J'entends bien vos arguments. Je vous répondrai simplement ce que je dis à mes patients lorsqu'ils apprennent, soudain, ce qui les frappe :

Nier la maladie n'est point guérir.

Si je puis débattre thérapie, je n'entends pas revoir le diagnostic. Je conçois que la chose vous heurte, en tant que tchaë, en tant qu'arcaniste. Je puis l'enrober fort joliment, cela reste brutal et laisse un sale gout d'amertume dans la bouche. Ce qui importe, pour avancer, c'est que nous partions de bases communes. Si vous ne percevez point l'impasse historique qui nous afflige, notre dialogue est mort-né. Je pourrais répéter, avec d'autres mots, d'autres phrases et d'autres exemples, ce que j'ai déjà exposé. Nombre de mes pairs, confrères marchands dans l'âme, aiment se livrer à cet exercice. Ils font de la rhétorique, disent-ils...

De mon point de vue, ils bégaient. Je me garde de cette pratique, qui traduit un désordre mental précis.

Renseignez-vous, Aviha. Menez votre propre enquête. Consultez les ouvrages savants et les gens de pouvoir. Interrogez les premiers-sortis, puisque l'occasion vous en est donnée. Constatez, par vous-même, ce que j'ai bien été forcé d'admettre. Etablissez le diagnostic, si je puis m'exprimer ainsi...

Ensuite, alors, nous pourrons discuter thérapie.


Je conclus posément :

Nous sommes d'accords sur un point, fort heureusement : Oui, neutraliser nos cités est actuellement imprudent. Car les nemens, que l'on dit moribonds, sont encore là. Car nous avons un rituel remarquable, dirigé par un Chambellan pugnace, et des combattants poussiéreux décidés, qui peuvent nous débarrasser du Tark'Nal. Car cela nous donne des arguments vis-à-vis des... des « natifs ».

Ce terme m'agace prodigieusement. Mais ce débat-là peut encore attendre.

A terme, pourtant, il faudra le faire. Entrer dans l'histoire.
Et grandir.


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Hohen

Le Matal 28 Saptawarar 1510 à 16h05

 
J'écoute impassible, l'échange de vérités et de suppositions. J'ai oublié de me demander pourquoi je suis ici vu que ma présence sert terriblement à rien. Et pourtant je suis quand même la quatrième roue du tricycle. Qu'importe, un peu d'érudition ne me fera pas de mal. Si toutefois on survit à cette rencontre. D'ailleurs elle attend quoi pour nous tuer maintenant qu'on en sait trop ? C'est pas que je sois pressé de me faire saigner mais bon, si on commence à prendre du retard maintenant, on n'est pas sorti de l'auberge, c'est que j'ai un service à assurer en cuisine ce soir moi.

La cadence s'accélère alors que la Propage prend part à la discussion. Petrorius semble poser beaucoup d'hypothèses au vu de la réaction de la Témoin. Peut-être trop d'hypothèses. Les vérifier est difficile tant les enjeux sont importants j'ai bien l'impression. Ca parle de diplomatie avec les natifs, de mine de sel, de complots... La légende sur ces Propages se confirme, doués de rhétorique et habiles orateurs, notre aliéniste national a trouvé un adversaire, ou du moins, une collègue aussi douée. J'imagine qu'en plus de la parlote, elle doit avoir d'autres moyens de persuasion plus...explosifs. On dit aussi que les Témoins sont tous fous, bien plus qu'à la Confrérie, qu'ils se coupent des morceaux de chair pour comprendre un grand poisson mystique.

J'ai pu comprendre une partie de la conversation mais mon attention était retenue par les allers et venues, guettant le sombreur qui viendra mettre un terme à cette conversation enrichissante quoique compliquée.


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