*** Il pénétra dans le dédale des sombres ruelles araméthéenne avec un renâclement. Une expression de dépit, de lassitude ou une mise en garde immédiate contre les âmes noires ou égarées peuplant les intestins de la Cité Marchande. ***
*** En ces lieux, plus qu'en tout autre les codes étaient de mise. Celui qui n'en avait pas connaissance risquait de perdre au jeu des ombres et vices suintant des ruelles. Et les non-initiés étaient repérés immédiatement. Quelques pas et ils étaient suivis. Un embranchement et ils étaient saisis. Un coin sombre et c'en était fini.
Les Bas-Fonds d'Arameth était de ces chaos absolus qu'ils restent immuables quelque soit les crises traversées à l'extérieur. Syfaria pouvait connaître l'apocalypse, tant que celle-ci ne venait frapper les murailles véreuses et gangrénés des tavernes sans avenir et des esprits sans rêves, rien ne changerait. Ici et là quelques rumeurs, peut-être, pour alimenter les prêches des fous, l'acidité des choppes de bière bon marché et les arguments de vente des prostituées sans lendemain. ***
*** S'hilaan Tos'hur possédait quelques avantages en cet endroit sans fond. Il était massif, ce qui constituait un premier signal à l'oeil des observateurs sans foi ni loi. Il était peu avenant, ce qui renforçait la méfiance du premier désespéré ou sadique venu à l'affût d'une proie. Il connaissait les lieux et les mouvements infimes, sonnant l'alarme dans l'esprit des habitués. Une fois, un nigaud, en manque, en veine ou en désespoir, avait voulu briller en public en s'en prenant au forgeron, dans le tumulte d'une ruelle fréquentée. Un acte stupide que les dépositaires des rituels malfamés auraient réprouvés au nom de l'esprit pratique. Personne n'avait pris le soin de ramasser le corps affalé contre un mur, pantin désarticulé, après la tentative. Si S'hilaan ne l'avait pas tué, un charognard détrousseur s'en était chargé, ne serait-ce que par désœuvrement. Le meurtre, la vie, la mort, la chance ne suivait pas les mêmes cours qu'en des lieux plus ordinaires. ***
*** Le Nelda marchait, la tête légèrement courbée vers le sol, fixant un point devant lui. Il prenait garde aux mouvements périphériques, révélateurs d'une activité menaçante sur le côté. Nul besoin de regarder devant soi, on le laisserait passer. Certains étaient à éviter, il le savait aussi. Ce Tchaë a l'air malingre et au tatouage tentaculaire sur le visage : même le massif marchand se serait écarté pour lui faire passage. Dans le quartier du Tonneau, il fallait baisser les yeux lorsque Kn'orsi Viellangue passait à proximité. Personne ne savait plus vraiment pourquoi, mais c'était ainsi. Et la connaissance de ces menus détails étaient un autre atout, permettant d'arriver à bon port et d'esquiver les récifs de perdition sur les flots de solitude des Bas-Fonds.
Ecartant un drap souillé et miteux, pendant en travers de la rue, sans raison apparente, S'hilaan secoua la tête d'un geste sec pour faire fuir le nuage vrombissant d'insecte qui l'escortait depuis son entrée dans le quartier des délaissés. Encore quelques pas, un mendiant de dix ans à ignorer, un saut d'excréments jetés d'une mansarde à éviter et il pu contempler le bout de planche tordu marquant l'entrée du lieu qu'il voulait atteindre. Il s'arrêta.
Presque sans y penser, il secoua lourdement la tête et soupira. Puis il fit jouer les muscles de ses épaules, comme l'ultime échauffement d'un lutteur clandestin avant d'entrer dans l'arène et il poussa d'une patte le semblant de porte.
S'hilaan Tos'hur entrait chez N'aandarg Tos'hur, paternel en perdition. ***