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Bas fonds d'Arameth

Renaissance

l'Ordalie du Masque
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Sujet lancé par Umbre
Le 03-08-1508 à 23h56
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Posté par Umbre,
Le 14-04-1510 à 02h36
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Umbre

Le Dhiwara 3 Agur 1508 à 23h56

 


À la surface, tout semble clair. Même au niveau des atomes, les choses sont liées par des principes de base. Les choses échangent une énergie qui ne peut être créée ni détruite. Les choses vibrent à différentes vitesses, formant tous les états de la matière. Ces particules, ces éléments infiniment petits qui nous constituent, qui fondent la manifestation physique de l'univers...tournent comme des danseurs ivres, se comportent à la fois comme les racines stables de notre existence et comme des aliénés. Mais plus profond encore, parmi les choses qui les constituent eux, parmi le commencement, parmi les composantes indivisibles du monde, là, tout sens est perdu. Tout est perdu. L'éclatement et le déchaînement de cette soupe de germes fondateurs restent imprévisibles. Selon toute logique, le système devrait s'effondrer ou exploser. Le chaos apparaît comme étant le nihilisme ultime. Et pourtant...dans un système qui engendre l'entropie, qui l'engendre sur le rebord de notre cosmos, aux frontières de notre réalité, là où la perfection et le vide s'engagent dans une guerre silencieuse...un viol énergétique suffit et les choses se cristallisent. Là, un soupçon de cohérence. D'une certaine manière le Destin ne joue pas aux dés, mais aux échecs. Je suis un pantin qui existe, d'une façon ou d'une autre. Gémissant devant la symphonie fantasmée du chorus de la vie.

Les sens fragiles alimentent et nourrissent la perception collective. Mes sens conspirent. Usurpent mon esprit. Des instants éphémères et précieux inondés par des flux continus et oppressants. Des atomes chargés de révélations, de vérités invisibles se succèdent dans une cadence démente. Je ne suis que ouïe, toucher, vue. Et on peut composer à travers la statique de ma peau le nom du Temps, le nom de l'Univers et du Destin. De nouvelles pièces, de nouveaux morceaux...agencés pour un autre tableau, un puzzle plus grand et un jeu plus complexe, pour une représentation....Oubliez l'Ascension. Voici la Rédemption. Grâce...comme tu es douce. J'étais aveugle, maintenant je vois. Mais qui regarde ? Qui est le spectateur, l'acteur, le metteur-en-scène ? Qu'est-ce qui vit dans ma tête ? Qui m'inonde de sa détestable corruption ? Suis-je infecté ? Est-ce ma faute ? Mes poumons se noient dans le poison et l'alcool. Mes veines font la course avec les merdes que j'ai pris. Mes cristaux se multiplient. Je peux les entendre. Ils complotent. Mon âme a le cancer.

D'abord plus rien. Puis quelque chose. Divise et conquiert. Embrasse et tue. Baise et tue. J'existe.
C'est toujours le même schéma. Le réalité ne peut être abandonné au hasard. C'est un rêve crypté. Nous sommes le cryptogramme...qui rêve aussi. Un cryptogramme qui crypte un cryptogramme. Que le dormeur doit déchiffrer. Un fanal dans l'ombre. Porté par les mains d'un enragé. Quelque chose explose dans le ciel. Un ver de terre en chute libre ? Arameth m'appelle ? Ce ne sont pas des sages. Apportant la peste, la misère. Ce sont des cadeaux empoisonnés. Des artéfacts brisés. Pour des hommes brisés. L'inconnu dépouillé et sanctionné. Vidé de son sang et battu à mort. Muet. Des dents huileuses éraflant un verre foetal...Est-ce dont il parlait ? Qu'est-ce qui...? Qu'est ce qui est censé naître ? Tout cela...pour quoi ? Qu'ai-je sacrifié pour gagner mon droit de vivre ? L'innocence ? La vérité ? L'amour ? Et qu'ai-je gagné en échange de mon arrogance ? Quelle est ma récompense ? La peur...constante et silencieuse, la peur. Ou la folie. Hurlante. Pleurer. Toujours le même schéma. Je peux les sentir, des doigts froids qui me déchirent de l'intérieur. Ce n'est pas une putain de blague, ce n'est pas le hasard. Le vomissement est bien réel. Quelque chose qui vient de nulle part, du rien. Comme une explosion dans le vide. Comme l'inspiration. Ce sont les pensées que j'ai. De l'éther surgissent les idées. Du vacuum surviennent les rêves. Je suis éveillé mais les rêves sont cryptés. Qu'arrive-t-il quand le dormeur parvient à les déchiffrer ?

Que va-t-il m'arriver ? Qu'arrive-t-il quand le Marionnettiste s'éveille ?



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Luang 4 Agur 1508 à 23h07

 


Quand le Masque sort enfin de chez lui, le troisième soleil est déjà bien avancé dans sa chute. Le ciel fait don à Syfaria d'une voute mordorée laissant timidement percer les touches luminescentes des étoiles. Et même si les bas fonds ne sont pas le meilleur endroit pour apprécier la toute puissance des astres et la grâce des phénomènes célestes, l'esthète prend le temps d'observer la douceur du crépuscule s'effondrer comme un voile délicat sur les toits prétentieux d'Arameth et sur les pointes majestueuses des six grandes pyramides. Ce n'est qu'au bout de longues minutes qu'il quitte finalement le seuil de sa vieille demeure torturée.

À peine sa marche entamée, le tydale redresse le col épais de son manteau. Ce n'est pas contre les caprices du climat qu'il se prémunit, mais contre l'orage intérieur qui sourde dans le creux de son estomac et bourdonne dans son crâne. Son allure peu engageante que réaffirme son masque d'argent lui évite les habituelles rencontres et les nombreuses déconvenues qui sont le quotidien des habitants du quartier. Si il ne vient ici que très rarement depuis qu'on lui a offert le poste de chambellan, le Masque n'en est pas moins resté une personnalité du coin. Il est même l'expression de quelque chose. Un vestige...

Maintenant qu'une lourde épée frappe ses flancs sous les replis de sa cape et qu'il éprouve un grand plaisir à jongler avec la sorcellerie, on préfère définitivement ne pas savoir de quels fils est cousue la peau du Pantin. Lui-même ne le sait plus très bien. Et ne veut pas le savoir.

Les ruelles insalubres et sinueuses ne se laissent pas aisément dominées par les pas assurés de leur visiteur. Cela fait trop longtemps qu'il n'est pas venu. Son regard perce les brumes environnantes à la recherche d'une indication. Rien. L'orientation et l'habitude sont les meilleurs armes contre la nature labyrinthique des bas fonds. L'orientation n'a jamais été son fort et il a perdu l'habitude. Il guette des messages, des éléments du décor qui puissent le mettre sur la voie. Mais il ne reconnaît rien. Il s'est égaré. Tant pis. Il abaisse l'extrémité de son chapeau à plumes devant ses yeux et s'engage fermement dans un passage. Il a déjà trop hésité et les manifestations de faiblesse peuvent être mortelles dans un tel lieu.

La venelle est longue. Beaucoup trop longue à son goût. Longue et sombre comme un boyau. Au bout de quelques mètres, Umbre s'arrête brusquement. Ce que l'obscurité lui avait caché jusque là se découvre finalement. Il y a un mur au bout de cette rue. C'est une impasse. Et pourtant...quelque chose l'appelle au pied de ce mur. Un éclat. L'éclat de quelque chose, de quelque chose de brillant posé à même le sol. Il s'approche. Un, deux, trois pas.

C'est un masque. Un masque d'argent semblable au sien. Mais...il est...brisé.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Matal 31 Marigar 1509 à 18h57

 
Le symbole est limpide. Il n'y a pas à douter de sa signification un seul instant.
Le masque est sa marque de fabrique. C'est, suprême ironie, à ça qu'on le reconnaît.
Il hésite de longs instants à ramasser les morceaux. A les assembler. A les recoller.

Mais le masque est brisé. La menace est claire.
Ses vieux réflexes reviennent à la charge. Son instinct aussi.
Pourtant, il laisse sa rapière dans son fourreau. Et ses yeux ne scrutent pas à tout va les alentours.
Il demeure calme. Parfaitement calme. Cette patience froide de tueur qui analyse la situation.
De puissants sortilèges, vieux comme la poussière, font défiler leurs glyphes luminescentes dans son esprit.
Ils sont là, à la lisière, prêts à sortir. En attendant, ses mains et sa langue restent silencieuses.

Dans la ruelle poisseuse des bas fonds, tout est mort.
Et durant une fraction de seconde, il se demande si il ne l'est pas, lui aussi.
Le masque est brisé. On cherche à l'acculer. Ce n'est pas pour rien si il est dans une impasse, face à un mur.
Le langage des truands et des criminels n'est jamais trop complexe. Il faut que le message soit entendu et compris, vite et bien.

Quand Umbre se retourne finalement, pour faire marche arrière, une silhouette lui barre la route.
Emmitouflée dans un ensemble de manteaux rapiécés, la caricature de gentilhomme déchu le regarde, attentif.



Son visage est ravagé, monstrueux. Maladie ou accident ? Peu importe.
D'une de ses mains osseuses, couverte de bandages usés, l'homme lève son chapeau haut de forme.
Salutation au bon et due forme. Absurde nécessité de répondre à l'étiquette, même ici, dans la lie, la crasse.
La voix du visiteur, lorsqu'elle s'élève finalement, est un grincement sonore des plus désagréables.
Entre l'ongle sur le tableau noir et les charnières rouillées d'une porte en fer.


Vous n'êtes pas aisé à saisir, mon chou. Entouré de ci, occupé de là.
Me forcer à me vautrer dans cette fange infâme, franchement. Vous auriez pu faire des efforts.
Cela fait longtemps que vous ne venez plus dans les parages, n'est-ce pas ? Mais je t'ai trouvé, mon chou.
C'est tout ce qui importe. Tu sais qui m'envoie et pourquoi. Du moins, je suppose...
Alors je ne vais pas te faire un dessin.


Une brève hésitation. Venant autant de l'esthète que du visiteur.
Umbre sait ce que signifie la présence de cet individu ici, en pleine discussion avec lui.
Il ignore ce qu'il a à dire, la nature précise du message. Mais il sait ce que signifie sa simple présence.
Il connait bien le bonhomme et les rituels particuliers auxquels il répond.
Si il est là, c'est que l'heure est grave. Grave comme dans..."graver dans le marbre".

Il n'a pas tellement besoin d'en savoir plus. Le masque brisé en est le témoignage parfait.
Umbre suit sans ciller le gentilhomme décharné qui s'éloigne.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Dhiwara 17 Manhur 1509 à 12h02

 
La pièce est sombre. Et amère.
Car les souvenirs qui s'y rattachent ne sont pas des meilleurs.
C'est une chambre et un bureau autant qu'un atelier. Les fenêtres sont hautes et larges, barrées par d'imposantes planches en bois qui ne laissent filtrer de l'extérieur que de minces raies de lumière. Ladite lumière, soutenue par la présence de bougies discrètes, éclaire des foules immobiles de mannequins fièrement dressés et de marionnettes négligemment suspendues aux murs. Dans un coin, un imposant fauteuil trône. Une silhouette obscure y patiente, le visage tourné vers la contemplation muette de la rue en contrebas.

Entre.

Cela fait quelques années qu'Umbre n'a pas entendu cette voix.
Et il se rappelle maintenant pourquoi elle ne lui manquait pas. Elle est tristement caverneuse. De ce genre de caverne qui sert de fosse à une foule de cadavres anonymes. Et elle charrie aussi sont propre lot de souvenirs.

Le Chambellan obéit et s'approche, à pas mesurés.
Il pousse et évite les sculptures inquiétantes avant de s'installer dans l'autre fauteuil, celui qui fait fasse à l'hôte.

600 ans.

Si il avait pu, le Masque aurait soupiré. Il sait précisément comment vont se dérouler les premières minutes de cet entretien et cela le met mal à l'aise, dors et déjà. Il ne connait que trop bien les errements de son interlocuteur. Inévitables circonvolutions dont les conclusions sont toujours terriblement aiguisées. Dangereuses.

Après 600 ans, on aurait pu attendre mieux de l'âme poussiéreuse, non ?
Il y a d'autres jeux à jouer que ceux auxquels jouent nos petites personnes, non ?
Toutes ces absurdes crétineries, ce temps perdu, ces inlassables courbettes pour contrôler son monde.
La gloire, le profit, le pouvoir...

Tous tes amis, tes ennemis, tes supérieurs.
Ils me sortent par les trous de nez. Toi aussi d'ailleurs.
Le monde entier me sort par les trous de nez. L'âge peut-être. Ou la fatigue.


Silence

C'est confortable, là-bas ? Le cul assis sur un trône, au milieu d'un harem de catins et d'éphèbes qui te respectent, te courtisent, t'adulent ? Tu ne dois plus te sentir péter.

Umbre écoute la diatribe, silencieux. Il n'a que ça à faire.
Il n'a aucune envie de répondre. Ni même de considérer les insultes. Cela ne servirait à rien, quoiqu'il arrive.
Et puis, à tout bien considérer, peu lui importe. Tout cela ne l'atteint pas, pas un seul instant.

Tu as sans doute oublié, depuis le temps, comment tu en es arrivé là où tu en es aujourd'hui, hein ?
Tu as sans doute oublié à qui tu dois ta chance. D'où tu viens, à qui tu as vendu ton âme...


Le Masque sait où l'homme veut en venir et c'est faux, mais il s'en fiche. Il sait que l'homme sait. Il attend donc, patiemment, qu'il poursuive. Cela ne ressemble ni aux manières ni aux pensées de son interlocuteur, ce qui est pour le moins intriguant. Mais ça aussi, il s'en fiche. De longues minutes s'écoulent sans rien, paisiblement, jusqu'à l'écho d'un frottement léger.

Je suis mourant, Umbre.

Le Chambellan attend. Il attend une réaction de sa part...à lui. Est-il triste, désespéré, en colère ? Non. Aucune émotion. Rien. Avec une pointe de perversité, il s'efforce de garder le silence. On attend, en face, une réaction de sa part. Même minime. Il n'en donnera aucune. Il a déjà trop donné à cet endroit, cet individu, cette vie.

Je vois. Tu peux ne pas t'en préoccuper.
Je comprends. Mais sache que tout est lié. La menace que tu as reçue. Ils osent parce qu'ils savent.
Une fois que je serai mort, plus rien ne te protégera. Ils feront tout pour que tu me rejoignes, très vite. Et je sais que tu n'as aucune envie de passer l'éternité avec moi dans quelque abysse obscur.


A cela aussi - suprême insolence - Umbre ne répond pas.
Qu'aurait-il pu lui dire ? Que la mort n'était plus qu'un « détail » pour lui, symbiosé ? Qu'il était devenu un sorcier accompli, doublé d'un entropiste ? Qu'il n'avait qu'à lever le petit doigt pour se faire assister par une tripotée de personnes toutes plus dangereuses les unes que les autres ? Non, il préfère encore le silence. Plus affûté que n'importe quel mot. Il se lève et se dirige vers la porte.

Par les Six, que le monde avance vite. Il a tant changé, en si peu de temps.
Changé. Oui. Métamorphosé. Il s'arrête sur le seuil et se retourne. L'obscurité, le silence, l'attente.
Umbre revient lentement vers l'homme. Et n'hésite pas très longtemps.
Il tire une dague de son fourreau. C'est un cadeau de Colcook. Une blague entre eux. Douce ironie...
Le regard vairon la contemple un bref instant, dans la semi-obscurité, et brille.
L'homme ne proteste pas, se débat à peine.

A trois reprises, la lame lui transperce le coeur.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Julung 28 Manhur 1509 à 13h21

 
Ne vous inquiétez pas. Je ne l'aimais pas non plus, mon chou.
Ses vues étaient trop limitées, depuis trop longtemps. Pas comme toi.
Ou comme eux.


Umbre retire sa lame du corps inerte de l'homme et se redresse, écoutant avec attention la voix brisée du gentleman décharné.
Il perçoit sa présence derrière lui, à moitié dissimulée dans les ombres, entre les mannequins de bois.
Depuis quand est-il là ? A-t-il tout vu, tout entendu ? Probablement.


Ils sont malins. Plus malins que tu ne le crois.
Il avait tort en disant qu'ils chercheraient à te tuer. Ils savent qui tu es.
Ce que tu es. Cette nouvelle espèce d'hommes dotés de...seconde conscience.
Immortels. Ils ne vous tueront pas, mon chou.

Mais ils vont faire bien pire. Te « neutraliser ».
Ils te captureront, t'enfermeront, te drogueront. Votre corps et votre esprit seront inutilisables.
Oh oui, ils sont malins. Très malins.


Le Chambellan ne se retourne pas, demeure sagement immobile.
La menace qui plane dans les paroles de son interlocuteur n'est pas anodine.
Et il devine à quoi va logiquement aboutir cette conversation. C'en est presque navrant. Il répond, plein d'une suffisance théâtrale :

Ah. Et comment vont-ils faire cela ?

Le mouvement est rapide. Foudroyant. Umbre a à peine le temps de se retourner qu'il sent une lame lui transpercer le ventre.
Une longue et vieille lame, vicieuse et mortelle. L'horrible personnage lui fait face, le gratifiant de son haleine d'égoût parfumée au formol.


Ça n'a rien de personnel, mon chou. Ne l'oublie pas, s'il te plaît.

Le tueur le soulève, sans aisance mais sans difficulté non plus, pour le projeter contre une des fenêtres closes.
Le dos du Masque rencontre les planches de bois clouées au mur, qui se brisent sous la force du choc.
Une fraction de seconde après, il se retrouve la tête dans le vide, à une vingtaine de mètres du sol.
L'idée d'une chute, même fatale, n'est pas pour lui déplaire.
C'est sans compter la vivacité de son adversaire, qui lui a déjà agrippé le col pour le ramener à l'intérieur.

De nouveau propulser dans le décor, Umbre s'écrase au sol et bénéficie aussitôt d'une violente entaille à l'abdomen.
Il a la désagréable impression que l'épée de l'assassin lui laisse dans les plaies quelques bienheureux souvenirs.
Poison, morceaux de métal ? Ça ne m'étonnerait pas. Il connaît de réputation les manières de cet homme.
Et à plus forte raison, celles de ceux que les légendes populaires nomment poétiquement les « Sombreurs ».

Son énergie, autant que sa lucidité l'abandonnent déjà. Laissant de côté l'option « se relever dignement et prendre la fuite », le Chambellan rampe au milieu de l'obscurité en renversant sur son passage les nombreuses statues qui jalonnent son chemin. Peine perdue. Le tueur le rattrape à pas lents et le renverse sur le dos.


Vous savez, vous m'êtes plutôt sympathique, mon chou.
Dommage qu'ils m'aient proposé un si bon prix. On aurait peut-être pu faire affaire ensemble, un de ces jours.
Là, ça me paraît compromis, si ils font avec toi ce qu'il est probable qu'ils fassent. Enfin....
Pour ce qui est d'aujourd'hui, vous allez juste perdre beaucoup de sang et tomber dans un radieux coma sans rêves.
A votre réveil, vous aurez le plaisir de voir la bobine de vos vieux amis... Hihi.
Comique, hein ? Je m'adore quand je fais des... Quoi ?


Paralysé, couché sur le dos, le Masque murmure de façon indistincte un babil rythmé, presque chantonnant. Le gentleman des bas-fonds fronce les sourcils, intrigué, avant de laisser son regard glisser vers les mains du Chambellan, dont les doigts battent sur le plancher d'étranges mesures. Quand il comprend enfin, l'incantation est déjà terminée. Les « Flammes de l'Esprit » est un de ces sortilèges qu'Umbre apprécie tout particulièrement. De la Chimère dévastatrice, jouant avec brio sur les sens et les impressions. Un bonheur pour les âmes sadiques.

Convaincu (à tort) d'être emporté par les flammes, le tueur s'agite en tout sens, glapissant de douleur et de peur. Un spectacle dont Umbre se serait régalé en temps normal. Mais pour le moment, il préfère user de ses dernières forces pour purger son corps des mauvaises substances et pour s'offrir une remise à neuf flamboyante. Il se relève donc, péniblement, et lance deux autres charmes d'un genre bien différent.

Encore faible mais vivant, il jette un dernier coup d'oeil à l'assassin (qui cherche vainement à éteindre un brasier illusoire), au gisant qu'il vient de pourfendre et quitte les lieux sans demander son reste.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Dhiwara 31 Manhur 1509 à 21h35

 


C'est presque l'Aube sur la plaine.
Ou le Crépuscule, on ne sait pas très bien. Personne n'a jamais vraiment su, d'ailleurs.
On raconte que la plaine a été bâti avant la Mémoire et que le Temps l'évite soigneusement.
Car la plaine renferme de trop nombreux secrets. Des secrets qui ont corrompu l'Horizon et volé des étoiles.
On dit que le secret de l'Immortalité serait venu s'y cacher. Qu'un Art interdit y serait né, que l'Inconscient rêve dans cette région.

Prêt de l'Arbre de la Méconnaissance, depuis longtemps oublié, une silhouette s'active.
Elle s'active comme les dieux souterrains le font, où comme les mauvais souvenirs qui s'échappent.
Elle nettoie ses pensées, compte celles qu'elle n'a pas, tisse une corde d'ambiguïté et mesure la taille de son âme.
Elle chuchote quelques maladresses à des folies douces et inspire un ou deux poètes maudits.
Puis elle commence à se préparer. Car ce soir, c'est le grand soir.

Il faut bien s'habiller pour l'occasion.
Une robe de plaintes murmurées. Une coiffure de sous-entendus.
Des bracelets d'amours avortés, un collier de phobies ancestrales (très chic).
Et bien entendu, un Masque. Le plus important. On ne peut pas aller au bal sans un masque.
La silhouette s'arrête devant sa collection et observe un par un les visages fixes.




"Lequel choisir ?" se demande-t-elle. Il y en a tant.
Tous si différents, si particuliers, si originaux. Uniques, pour ainsi dire.
Comment paraître, apparaître ? Il ne faut pas décevoir les 7 Principes. Ils sont puissants.
Car avec un peu de chance, elle pourrait bien obtenir une promotion.
Peut-être même cultiver son propre champ de regrets.

Alors, quel Masque ?
Quel Mensonge, quelle Vérité ?

Dois-je être Pantin, en signe de soumission et de révolte ?
Dois-je être Majesté, en signe d'orgueil et de pouvoir ?
Dois-je être Mystère, apôtre de la connaissance ?
Dois-je être Folie, tumultueuse clairvoyance ?
Dois-je être Rêve, pour l'art et la beauté ?
Ou Extase, aux jouissances mortelles ?
Mélancolie, aux larmes amères ?

Comédie ou Tragédie ?
Suis-je Obsession ?
"Qui suis-je ?"


Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Merakih 14 Astawir 1510 à 02h36

 
Dans la misère des bas fonds, il guette comme la proie qui attend son heure.
Ou comme un prédateur qui épie sa proie. Enveloppé dans une vieille cape rapiécée.
Il pourrait avoir peur. Il pourrait. Mais il n'a pas peur. Parce que il n'y a pas lieu d'avoir peur.

On a pas peur de la réalité. On a pas peur de la violence, de la mort ou de la maladie.
On a peur de son ombre. On a peur d'un cauchemar ou d'un mensonge.
On a peur de ce qui peut arriver. Du présage. Pas du fait lui-même.
On a peur de ce qui n'existe pas. D'une simple vue de l'esprit.

Or, ce qu'il guette, c'est une réalité. Il ne craint pas la réalité.
La réalité n'est qu'un piège pour les cons. Les crédules, les imbéciles.
Et jusqu'à preuve du contraire, il n'est pas de ceux-là.

Lui, c'est l'horreur qui porte un masque. Ils le savent. Un peu trop, même.
Et le masque c'est l'ombre, le cauchemar et le mensonge qu'on est en droit de craindre.
Il n'aurait pas fait peur, en d'autres temps. Mais le masque en est venu à lui coller à l'âme.
Le hasard, le temps, la puissance. Il est devenu bien plus. Beaucoup trop, pour eux.
Le regard vairon brille dans son paradoxe, comme une dague dans les ténèbres.
Il n'y a plus aucune force qui lui résiste. Parce qu'il est habité.

Ce n'est pas seulement l'immortalisme et ce nihilisme irrésistible.
Ce n'est pas seulement l'art symboliste du beau immoral.
C'est encore autre chose. D'autrement plus...terrible ?

C'est peut-être cette rage qu'aucun corps ne peut contenir.
Cette révolte sourde qui déchire toute chair intime et nerveuse.
C'est peut-être exister pour ne pas être qui transcende chaque atome.
C'est peut-être ce que signifie la démence viscérale, brute et souveraine.
Vive et fatale dans l'énigme indéchiffrable qu'elle trame à l'infini.

Tout ça n'est peut-être qu'une question de motifs.

Mais finalement, qu'importe ? Au coin de la rue de la Veuve, il patiente toujours.
Belles, les armes sont prêtes, aiguisées comme le sourire d'un mort.
En fin de compte, il n'y a qu'eux qui savent vraiment sourire.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

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