| Au milieu des préparatifs de tout un chacun pour préparer on ne savait trop quoi, peu de gens avaient fait attention à la dizaine de Frères Noirs conduisant un chariot bâché à travers les ruelles. Les consignes du Roi de préparer l'évacuation des civils étaient à peine tombées, les ordres du Général pour la préparation de la défense également, et les premiers noyaux de réaction ordonnés se formaient autour des symbiosés. Il en serait encore ainsi le temps que la nouvelle se répande, sauf pour les mesures ayant anticipées ces nouvelles.
La petite troupe se rendait aux Halles des Corporations, dans un coin peu fréquenté, où attendaient un Sergent de la Bulle, avec quelques volontaires ayant répondus à l'appel placardé un peu plus tôt dans la journée sous les ordres du Commandant du Corps de Médecine. Pas grand monde, bien moins que l'officier ne l'aurait espéré. Mais elle s'était tout de même déplacée en personne, à la réception du rapport de son subalterne.
Ce dernier avait discuté un instant avec les soldats, qui s'avéraient être son escouade, et s'entretenait à présent à voix basse et à l'écart avec son supérieur. Les Rouges d'un côté et les Noirs de l'autre n'entendaient pas les paroles échangées mais ils se doutaient de quoi il devait être question. Même si leurs doutes étaient bien différents l'un de l'autre. Et si, en vérité, les deux pensées étaient justes. Les Noirs ne cherchaient pas trop à anticiper, leur chef était réputé pour être volontiers secrète, mais tout aussi soucieuse de l'avenir de ses troupes, ils avaient appris à lui faire confiance même sans savoir ce qu'elle préparait. Côté Rouge, le doute était plus présent, mais par bonheur les insignes de tous les soldats étaient ceux du Corps de Médecine, qui jouissait d'une réputation favorable de par son activité quotidienne auprès de la population. Et le Sergent lui-même, et bien il demandait ses nouvelles consignes, conscient que la présence de ses hommes en était l'annonce.
Toi et tes gars vous allez vous installer par là, lui expliqua-t-elle en désignant d'un geste discret un bâtisse à une cinquantaine de mètres, c'est la baraque d'un de nos Frères du Corps, il a accepté qu'elle serve aux opérations. Vous y entrerez discrètement, et par derrière. Pas avant la nuit tombée, que ça se vide un peu par ici...
Le sous officier fronça des sourcils broussailleux. Ils ont décidé de faire comme tu préconisais, alors ?
Elle hocha la tête, pour ponctuer sa réponse. En partie. On va combattre dans les rues, si la muraille tombe. Avait-elle vraiment dit "si" ? Elle eut un doute, après coup. Dans sa tête, l'enchainement logique se faisait avec un "quand", et elle avait du mal à cacher cette certitude. C'est pour ça que je veux que vous installez un dispensaire là dedans, mais discrètement. Aucun civil, ni même aucun Frère Noir doit savoir que vous êtes dans ce bâtiment là... Cette nuit vous vous y retranchez et vous restez discrets jusqu'à recevoir mes ordres... Vous aurez à sortir, vous me faites ça de façon à ce que ça passe inaperçu.. Le matériel dans le chariot est en bonne partie pour vous. Il alla pour la questionner, mais elle l'interrompit d'un geste. J'ai mes raisons, pas le temps de s'expliquer. Je te confie aussi les Rouges, ils vont bosser dans les locaux de la forge, pas moyen de les cacher, eux, alors tu me les gardes sous les yeux, laisse deux ou trois gars avec eux, et si on leur cherche des noises, vous vous en occupez... On n'a pas le temps de faire dans la dentelle... Allez, bonne chance !
Elle lui donna une petite tape amicale sur l'épaule, il lui répondit par un demi sourire. L'instant d'après, il reprenait la tête de ses hommes, et elle s'adressait aux Rouges.
Je suis le Commandant Aedrenith, Corps de Médecine. Merci d'avoir répondu à l'appel. Avant que je commence, qui ici a une femme ou des mouflets ?
Quatre mains se levèrent. Quatre voix se succédèrent. Le premier avait une femme, qui comptait double parce qu'elle portait leur gosse. Les deux suivants, une femme aussi, et des mômes encore jeunes. Le dernier, veuf, mais avec trois gosses. Tous adultes, ceux là, tous forgerons, et tous dans les volontaires. Ah ben ça ! Ça faisait une bonne nouvelle au milieu de trois mauvaises.
Vous trois, désigna-t-elle ceux qui devaient ou devraient assurer leur rôle d'époux et de père, retournez auprès des vôtres. La population civile va être évacuée, ordre du Roi, vos femmes et vos mômes vont avoir besoin de vous... Les autres, voilà comment on va s'organiser ! Elle prit un instant pour réfléchir, elle improvisait sur le tas. Elle commençait à en avoir l'habitude. Elle désigna le vieux aux trois fils volontaires. Toi, tu va être le chef de ce groupe. Sa petite famille constituerait un noyau dur autour duquel souder les autres. Dans ce chariot, là, y'a une dizaine de MageLames. Tout ce qu'on a pu réquisitionner. C'était faux, elle en avait plus, mais voulait garder de la réserve, au cas où. Vous allez en arracher des échardes et en faire des pointes de flèches, le plus possible... Le Sergent va rester dans le coin avec ses hommes, pour veiller que personne vienne vous en empêcher ! Et pour commencer, vous allez me donner vos noms !
Les questions de procédure réglées, le groupe de forgerons prit possession des épées et de la forge, et ses mirent à la tâche. Rapidement. La doctoresse se tint à l'écart, ce n'était pas son domaine. Rien dans ce projet n'était son domaine, mais comme personne ne le faisait, il fallait bien que quelqu'un se dévoue... Elle s'efforçait de déléguer au mieux pour tout ce qui était technique, et qui la dépassait, se contentant des autorisations à fournir et de la légitimité des actes.
La production en marche, le Frère Rouge revint la trouver.
Dans combien de temps vous serez prêts ? lui demanda-t-elle de but en blanc.
Il caressa sa barbe, réfléchissant, avant d'annoncer son estimation. Une dizaine d'heures, je dirais. A l'aube au pire des cas... Ça fera pas un grand stock, par contre, trop petites quantités. Mais on fera notre boulot, parole de Drigue ! Drigue, elle l'avait appris en relevant les identités des volontaires, c'était son nom de famille. Ses trois fils avaient le même, et tout le monde les appelait comme ça. Pas de prénom. Superbement pratique, comme façon de fonctionner...
La tchaë promit de repasser plus tard, et s'assura en sortant que les Brancardiers et l'Infirmier ne rencontraient pas de difficultés. Puis elle se mit en route vers le prochain point à organiser. Cela faisait un mois qu'aucune de ses nuits n'avait dépassée les trois heures, mais cette fois, elle s'estimerait heureuse si elle arrivait à faire la sieste vingt minutes, avant que l'aube ne se lève.
En chemin, elle piocha quelques feuilles dans sa besace, et entreprit consciencieusement de les mâcher, pour calmer la douleur. Elle avait besoin de réfléchir et la douleur l'en empêchait...
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