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Le Julung 16 Otalir 1508 à 14h47
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| Le couperet était tombé, sec, rapide et froid comme la mort. La voix sans intonation du secrétaire palatiale était pire que tout. L’indifférence la plus totale. Aucun sentiment, ni la tristesse, ni la déception, ni même la haine. Rien ne transparaissait dans la diction de cette simple et terrible phrase. Les mots ne semblaient lui vouloir aucun mal, n’ayant pour lui aucune antipathie ou complaisance ; ils n’accomplissaient que leur devoir : annoncer. Jusqu’au dernier moment il avait cru à une possible libération, croyant déceler dans l’hésitation première et le conflit opposant le Grand Témoin au Roi à son sujet, une forme de salut, la clef qui lui permettrait de s’en aller de sa nouvelle demeure.
L’idée fit son chemin dans son esprit, tentant de l’imprégner de ce qui constituait désormais sa nouvelle réalité. Le petit bleu aux cheveux de feu ne réagit tout d’abord pas, contenant son infinie surprise.
« Puis-je avoir les détails du jugement ? »
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Le Julung 16 Otalir 1508 à 18h29
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| Tryphon soupire ; les détails ? On s'en fout, des détails... compte tenu du résultat.
Soit, dit-il :
Vous avez été reconnu coupable de haute trahison pour tentative de coup d'état, doublé d'intelligence avec l'ennemi.
Le Secrétaire marque une pause, soupire à nouveau, puis poursuit :
Voilà pour l'officiel. Mais l'officieux, à mon avis, est plus intéressant. Je n'étais pas présent lors des délibérés, on m'a simplement chargé de vous communiquer la sentence... aussi, ce dont nous parlons maintenant est un bonus, si vous voulez. Mon opinion personnelle sur votre affaire. J'imagine qu'un jeune homme qui va passer le reste de son existence dans cette pièce et l'espace restreint de la cour royale a droit à quelques derniers égards...
Ceci étant, mon opinion, vous n'en avez peut-être rien à cirer. Et quelque part, ça m'arrangerait.
La voulez-vous ?
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Le Vayang 17 Otalir 1508 à 09h43
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| Oh, c'est assez simple à comprendre :
Ce ne sont pas vos idées révolutionnaires, le problème. En elles-mêmes, elles ne constituent pas vraiment un délit, puisque la liberté d'opinion est la règle dans notre Fraternité. Evidement, insulter les hauts dignitaires ou remettre en cause l'autorité du roi sont déjà plus problématiques et justifient de poursuites, mais il n'y a là pas de quoi se retrouver derrière les barreaux bien longtemps...
C'est d'autant plus vrai, en ce qui vous concerne, que votre activisme politique n'a guère généré qu'indifférence ou hostilité, parmi vos frères symbiosés comme non-symbiosés. Vous ne m'en voudrez pas d'être franc, hein... mais ce constat, même vous pouvez le faire.
Non. Le problème, c'est la confluence de deux faits qui vous accablent : l'acquisition d'un savoir propre à la Fraternité, au sujet des armes de haute technologie, et la tentative - suicidaire - de prise de contact avec des factions susceptibles d'accueillir des tchaes en leur sein...
Ces deux éléments, additionnés à une démarche qui ne pouvait guère conduire qu'à votre bannissement, à terme, ont été interprétés comme la préparation d'une trahison de grande ampleur : comme si vous aviez déjà prévu de vous vendre au plus offrant.
Voilà, jeune bleu, ce qui explique votre disgrâce et votre incarcération. Vous bannir, au regard de cette thèse, aurait été tomber dans votre piège.
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Le Luang 20 Otalir 1508 à 11h15
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| Aucun soucis, jeune frère. Ceci étant, vous êtes en prison, pas au secret : il vous est permis d'écrire à n'importe qui, sachant que la symbiose a de toute façon rendu ce droit quelque peu obsolète : il vous suffit d'appeler un garde, et il transmettra vos courriers ou vos demandes d'entrevue. Par ailleurs, tout frère peut venir vous visiter s'il en fait la demande ; je crois savoir que cela est limité à une personne par jour, à vérifier...
Bref, encore une fois, même si vous avez une piètre opinion du gouvernement et de ses lois, sachez que nous ne sommes pas une faction de sauvages. En matière de possibilités, ou d'évolutions de vos confitions d'incarcération, vous en discuterez avec le Grand Témoin, elle est bien plus au fait de ces choses-là que moi.
Sur ce, je vous laisse. Dame Sowane devrait vous visiter demain, si mes suppositions sur le rythme admissible des entrevues autorisées est celui que j'ai en mémoire.
Le secrétaire palatal salue Herménégilde, puis s'en va.
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Le Dhiwara 26 Otalir 1508 à 22h17
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| Bien, acquiesce-t-elle simplement.
Il y a deux options possibles, toutes deux reposant sur des démarches assez différentes. La première concerne votre mode de plaidoirie, la seconde un appel et un éventuel procès en révision :
Dans le Droit Fraternel, à partir du moment où un prévenu est déclaré coupable par un tribunal compétent, son mode de plaidoirie intervient dans la sanction : en clair, plaider non-coupable est un handicap, si vous êtes convaincu de ce dont on vous accuse, parce qu'au délit lui-même s'ajoute celui de parjure. Du point de vue du législateur, vous êtes non seulement un délinquant, mais aussi un menteur.
Voilà pourquoi le mode de plaidoirie influe sur le jugement rendu. De fait, la plupart des accusés consultent un juriste avant un procès, afin d'estimer leurs chances d'être acquittés : en fonction de ce que leur dit leur conseiller, ils ajustent leur discours et tranchent entre "coupable" ou "non-coupable" avant même de venir à la convocation du tribunal.
Pourquoi n'avez-vous pas consulté de spécialiste ? J'en suis surprise, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés.
Désormais, vous savez que votre condamnation tient en partie à votre choix : si vous aviez plaidé coupable, sans doute bénéficieriez-vous d'un strict contrôle judiciaire, et non d'une peine d'emprisonnement.
Vous devez vous demander pourquoi j'évoque ce sujet, le procès ayant eu lieu ? Parce que le Droit Fraternel autorise l'amendement : en clair, vous pouvez user de rétroaction, et modifier votre choix premier. Normalement, cela ne devrait pas changer la peine prononcée, car elle est irrévocable. En revanche...
La plus haute autorité judiciaire fraternelle se fend d'un petit sourire, se jouant des subtilités du Droit comme un chat se joue d'une souris :
En revanche, cela permettrait au Procureur Général de réouvrir l'enquête. Il viendrait vous demander des précisions, arguant de vos aveux de culpabilité : Quels étaient vos intentions précises, en fomentant de renverser le gouvernement ? Qui étaient vos contacts étrangers, et quels rapports entreteniez-vous avec eux ? Ce genre de choses...
Et dans l'hypothèse où vous pourriez répondre, alors, vous bénéficieriez soudain des circonstances atténuantes qui vous ont été refusées lors du verdict ; votre peine serait rapidement commuée en quelque sanction moins insupportable que celle qui vous frappe actuellement.
La jeune tchae à la beauté sévère conclut provisoirement :
Mon propos n'est pas de vous inciter à infléchir votre ligne de défense, mais simplement de vous informer. Il est évident que vous êtes seul à pouvoir décider de ce qu'il convient de faire. Mais désormais, vous avez les éléments d'information qui vous ont fait défaut, à l'évidence, lors du procès.
Croisant les doigts, elle écorne la suite de son discours :
L'autre façon de faire, plus rare et plus ardue, consiste à faire appel pour obtenir le droit de bénéficier d'un nouveau procès.
Cela ne peut se faire que si l'un des partis - ici, vous-même ou le gouvernement fraternel - apporte un "élément nouveau", susceptible de justifier d'une réouverture du dossier.
Et la seule personne habilitée à déclarer qu'un élément donné - un fait, un témoignage, une pièce matérielle, etc. - est véritablement "nouveau", au sens législatif du terme...
C'est moi.
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Le Luang 27 Otalir 1508 à 18h26
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| Décidément, il n’était pas au bout de ses surprises. La magistrate était pleine de ressources, et à l’évidence pouvait se révéler d’une grande aide. Pourquoi n’avait-il pas contacté de spécialiste ? En effet la question méritait d’être posée. Il n’y avait pas pensé. Tout simplement. Cependant, plaider coupable pour une chose qu’il n’avait pas commis lui semblait une conduite étonnante et presque dénuée de sens. On s’intéressait peu à ce que l’on avait réellement fait, mais à ce que l’accusé était capable d’expliquer face aux accusations.
Bref.
Elle avait comme insisté sur le dernier mot qui s’était échappé de ses lèvres. Le message était presque clair, limpide comme un cristal liquide. C’était un félin du droit, tantôt neutre et placide, tantôt subtile, accueillante et surprenante. Des deux solutions, seule la seconde lui permettrait une absolution totale, et une réhabilitation pleine et entière auprès de la Fraternité. Mais que pouvait-il apporter de nouveau ? Ou plutôt… Que pouvait-il faire pour que soit accepté un élément comme « nouveau » ? Il pouvait commencer par ne pas déplaire au Grand Témoin. Pour l’instant, leurs relations n’étaient pas trop houleuse, il y avait un espoir.
« Mmmh… »
Pensif. Le tract pour lequel il avait été condamné, il le connaissait bien. Peut-être en avait-on créé un autre en cherchant à le confondre ? Et il pourrait également s’expliquer sur la nature de ses relations avec les factions extérieures…
« Mmmmh… »
Comment tourner tout ça…
« Et quel sens législatif possède le terme de nouveau ? »
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Le Luang 27 Otalir 1508 à 21h34
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| Sowane répond avec une certaine pédagogie, mais sans aucune condescendance :
Lorsqu'une demande - on parle d'Interjection - d'Appel est formulée, c'est au Grand Témoin - donc à ma personne - que l'on demande d'étudier l'élément inédit justifiant de la réouverture du procès.
Si cet élément m'apparaît à la fois crédible et susceptible d'induire une modification du verdict antérieur, il acquiert le statut légal de "nouveau" et dès lors, l'Appel est officiellement validé.
Dans votre cas, le verdict du premier procès serait maintenu jusqu'au moment où vous seriez rejugé : une Interjection, lorsqu'elle est acceptée, prend généralement un à deux mois. C'est assez rapide, en fait.
En ce qui me concerne, le temps qui m'est nécessaire pour me prononcer sur la validité d'une pièce présentée comme "élément nouveau" est très variable : cela peut être immédiat, ou demander un lourd complément d'enquête. Tout dépend de la pièce, et de l'affaire considérée.
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Le Luang 10 Nohanur 1508 à 17h38
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| La jeune tchae lève un sourcil, curieuse :
Quel élément inédit ? Je ne peux répondre à cette question à votre place, frère Alchimancien. Mon rôle m'oblige à la plus stricte des neutralités. Il m'est impossible, en tant que Grand Témoin, de faire pencher la balance du coté de l'accusation comme de la défense. Je ne peux me prononcer qu'à posteriori, lorsqu'un élément m'est présenté et qu'il me faut juger de sa pertinence.
S'il m'est interdit de vous apporter un tel élément, je ne suis pas tenue de ne pas vous instruire de certains faits, car nul n'est censé ignorer la loi. Je peux, de la sorte, vous conseiller, à partir du moment où je n'énonce aucune contre-vérité, ou n'influence personne :
Sowane sourit, comme à chaque fois qu'elle flirte avec les limites de son grand pouvoir :
L'accusation d'intelligence avec l'étranger repose sur le témoignage d'un ou de plusieurs frère(s), et non sur celui de personnes non membres de la Fraternité. Pourquoi ? Parce que la parole de gens n'appartenant pas à notre faction n'est pas recevable, légalement parlant, et le Procureur Malgrange - qui connait son Droit - le sait.
Vos dénonciateurs étrangers pourraient être un bon millier, ça ne changerait rien à l'affaire : ils ne seraient pas acceptés à la barre.
Donc, si vous connaissez l'identité de votre ou vos accusateur(s) sur cette charge précise, vous pourriez tenter de négocier avec lui (ou eux) : si il(s) consent(ent) à revenir sur son (leur) témoignage(s), l'accusation sera bancale, et vous serez rejugé...
Croisant les mains sur son bureau et s'installant plus confortablement, la Grand Témoin conclut avec sérieux :
Bien entendu, par négociation, je n'entends nullement parler de transaction commerciale : acheter un témoin est un crime passible de prison.
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