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Le Sukra 20 Otalir 1507 à 15h03
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| Le roi s'est levé d'humeur chagrine.
La campagne d'affichage nemen traduit en acte ce qu'il redoutait jusqu'alors en mots : on ne peut s'extraire du monde dans lequel on vit, on ne peut s'affranchir du contexte, on ne peut s'économiser d'y penser et d'agir en conséquence. Le peuple Fraternel, enchâssé dans son superbe isolement, va devoir s'ouvrir malgré lui...
Sur ces pensées, on frappe doucement :
- Qui va là ? Demande un garde
- Tryphon. J'ai un pli spécial pour notre roi.
D'un geste, Elchior fait signe au soldat d'ouvrir la porte. Qu'est-ce que le vieux larron lui apporte à cette heure ?
Le secrétaire entre, salue son roi et lui tend son colis en précisant :
- Cela vient de l'Erudite Thanakis, votre majesté. Aucun mot n'accompagne le paquet, mais si j'en crois sa forme et surtout, le cliquetis qu'on entend si l'on fait silence... c'est un demi-cercle cryptographique.
Le roi tend la main, sans répondre. Pourquoi Thanakis agit-elle ainsi ? En lui livrant une clé chiffrée, elle demande implicitement à être contactée, mais de façon sécurisée... elle n'a plus de mou ?
Elchior ouvre le paquet : apparait une mécanique délicate, évoquant une montre gousset anormalement complexe, composée de plusieurs cadrans emboités et mobiles. L'ensemble est affecté de divers mouvements de rotations asynchrones qui donnent le tournis à qui les regarde trop longtemps... c'est bien cela. C'est une clé de cryptage, incomplète sans la clé de décryptage. Thanakis possède l'autre moitié.
Le roi relève la tête et demande :
- Il n'y a que ça ? Pas de mot ?
- Pas de mot, mon roi. Juste cela.
N'y tenant plus, le souverain tchae sollicite son mou et contacte la Première-Née. Quelle n'est pas sa surprise de s'entendre dire par son symbiote, d'un ton las et quelque peu dépressif :
- Croyez bien que j'en suis le premier contrarié... ma maitresse n'accepte pas de message royal non-codé.
Avec un soupir agacé, Elchior commence à manipuler sa clé.
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Le Dhiwara 21 Otalir 1507 à 11h09
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| Après quelques minutes de manipulation, Elchior fait un premier essai : il envoie « RZDSM SIYOKAM, A'VGZWAMN-MSFU », codé par la clé de son demi-cercle.
Bien qu’il connaisse le sens de cette entame, « Noble Erudite, m’écoutez-vous ? », il est incapable de la décrypter, car la clé nécessaire n’est pas celle qu’il vient d’employer.
Paranoïaques au dernier degré, les tchaes ont mis au point un chiffre reposant sur le principe des clés asymétriques : même en interceptant le demi-cercle du roi, en réalisant sa parfaite copie, on ne peut comprendre ce qu’il dit...
La réponse de Thanakis, rédigée grâce à son propre demi-cercle, lui parvient presque immédiatement :
« SFK, TWB IST. LL ACLLLKAM A'VRETLBSEMC CCMQ MSFU K'CBV EQHHQFV MXRVZHRREG, AWITLLPA I ZR WPEBZWKI OG SI PLPWG ITSLI »
Ce que le souverain traduit par :
« Oui, mon roi. Je souhaite m'entretenir avec vous d'une affaire importante, touchant à la sécurité de la Bulle bleue. »
Et le dialogue se poursuit :
Elchior : Pourquoi diable tenez-vous à employer cette vieille technique de cryptage ? Les mous la rendent obsolète, désormais.
Thanakis : Je n’ai pas confiance en ces créatures, mon roi. Elles sont à l’origine des changements radicaux aujourd’hui à l’œuvre, après une période de plusieurs siècles de stabilité... je ne peux m’empêcher d’y voir un lien, autre que la simple possibilité de partager nos pensées.
Elchior : Soit, Erudite. Ce que femme veut... Mais vous m’inquiétez. En quoi la sécurité de votre bulle est-elle menacée ?
Thanakis : Vous êtes au fait des derniers évènements survenus à Farnya ? Je parle des ravages causés par la machine infernale des rouges au sanctuaire bleu...
Elchior : Oui, je sais cela, et croyez bien que j’en suis navré. Je pense qu’un dédommagement sera voté sans peine par le gouvernement, et j’envisageais précisément de provoquer sa réunion prochaine, pour aborder ce sujet... et d’autres, également importants.
Thanakis : N’en faites rien, mon roi. J’ai... quelque chose de différent en tête. Inutile d’inquiéter mes pairs... mais vous restez maître de cette option, bien entendu.
Nous y voilà, songe le roi.
Elchior : Je vous écoute...
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Le Dhiwara 21 Otalir 1507 à 22h46
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| Thanakis : Mon projet est plus ambitieux. Je ne veux pas que notre parc soit remboursé des frais occasionnés par les dégâts... je souhaite qu'un tel drame ne puisse se reproduire.
Elchior : Certes, je ne peux que souscrire à cela. Mais par définition, un accident est imprévisible... non ?
Thanakis : Ethan... votre fils... a permis que la machine du docteur s'aventure dans mes jardins. J'y étais farouchement opposée, mais je ne disposais pas des moyens voulus pour que ma volonté, légitime en notre sanctuaire bleu, soit respectée...
Elchior : J'entends bien, Erudite. Mais que voudriez-vous changer ? De quels "moyens" parlez-vous ?
Thanakis : De moyens tangibles, mon roi.
Un silence s'installe, puis la Première-Née reprend :
Une aura de danger entourait cette machine ! J'ai alors invité le petit peuple à se réfugier dans mes jardins... au coeur des hauteurs de Farnya, difficiles d'accès, ils pourraient constituer un ultime rempart en cas d'agression... si telle était notre désir. Mais en l'état actuel, ils ne sont qu'un perchoir.
Je demande à ce que notre Bulle ait en charge la sécurité de son parc.
Je demande à ce que la milice de Farnya, assujettie aux ordres du Précepteur, s'en retire.
Je demande à ce qu'une "garde bleue", dédiée à la défense de notre précieux sanctuaire, soit constituée.
Je demande à ce que mes frères les plus pauvres et les plus démunis, lorsqu'ils me demandent asile, soient accueillis dans un lieu digne de ce nom !
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Le Luang 22 Otalir 1507 à 15h03
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| Elchior marque une pause :
La requête de l'Erudite est une demi-surprise. La Bulle Bleue, depuis l'arrivée des tchaes en Farnya, n'a plus jamais eu de "territoire" propre, comme à l'époque lointaine - si lointainre - où les Bulles portaient bien leur nom : vastes cavités souterraines propres à chaque couleur, elle abritaient leurs frères dans des lieux spécifiques, placés sous l'autorité de leurs dignitaires respectifs. Le pouvoir royal était moins centralisé qu'aujourd'hui...
En temps "normal", le souverain refuserait une telle demande, par soucis de paix sociale. Mais l'ouverture provoquée par les mous, gage de dangers extérieurs croissants, et l'accident de l'Oorthisanisphère, preuve que la sécurité intérieure laisse plutôt à désirer, changent la donne.
Restent deux problèmes sérieux à régler :
Elchior : Ma dame... sur le fond, les arguments sécuritaires que vous m’exposez sont pertinents. Mais dans la forme... ils ne font pas tout. Politiquement parlant, vous savez que vos deux pairs – le Précepteur et le Général – verront d’un très mauvais oeil ce que vous proposez :
Le premier dénoncera une tentative de partition de Farnya, voire une annexion. Il y verra une insupportable atteinte à la souveraineté de sa Bulle. Je suis porté à partager cette analyse : qu’avez-vous à me répondre ?
Le second arguera de son rôle : la sécurité est du ressort de la Bulle Noire, même si la garde municipale reste sous l’autorité des maires. Diviser les milices de Farnya en deux entités sous autorités distinctes, c’est perturber la chaîne de commandement et diviser nos forces en cas de coup dur : que faites-vous de cet argument ?
Son message crypté et transmis, le roi soupire intérieurement, sans illusions : il devra, in fine, décider seul, en âme et conscience... on peut s’imposer à l’Erudite, par l’autorité.
Pas par la réthorique.
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Le Luang 22 Otalir 1507 à 17h18
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| La réponse de la Première-Née est immédiate, en signe d'évidente maîtrise de son sujet et de préparation au présent entretien :
Thanakis : Oui, le Précepteur Gorgo fera valoir la prédominance de la Bulle Rouge sur Farnya. Cette réalité géographique, politique et historique est incontestable. Je n'entends d'ailleurs pas la remettre en cause.
Ce qui est contestable, c'est l'absolue domination d'une seule Bulle sur la cité.
En notre belle capitale, Oriandre, traditionnellement porteuse de l'autorité Noire, vous incarnez la sagesse du contre-pouvoir populaire à la mainmise de l'armée. Vous assurez aussi le lien entre nos soldats et la Fraternité toute entière, votre présence rappelant à chacun qu'il n'est nulle place, dans notre civilisation, où ne s'exerce la pluralité de nos couleurs. Et pourtant, le bleu est une couleur bien pâle, sur vos terres...
A Farnya, qui vient mettre l'unicité rouge en balance ? Qui rétabli équilibre et ouvre la ville sur la civilisation toute entière ? La Bulle Bleue. Mais cette dernière, en son propre fief, n'a nulle autorité. Elle n'est qu'un symbole, l'ombre de sa lumière plus que sa lumière. Vous ne pouvez être partout. Vous n'êtes pas à Farnya. Votre aura ne la baigne pas, pas comme elle baigne Oriandre.
L'existence d'une Garde Bleue sera l'expression de notre volonté commune d'une fraternité plurielle, au-delà des évidentes garanties de sécurité et de justice qu'elle apportera. Le prince ne peut prétendre, aussi puissant soit-il, régenter toute une ville sans qu'aucune autre couleur que la sienne ne puisse s'y exprimer et y fonctionner sans entrave.
La Bulle Noire ne souffre pas de l'exclusivité rouge, à Farnya : sa prérogative de fait, en matière sécuritaire, lui donne la lattitude voulue lorsque de grandes décisions sont à prendre. Ma couleur n'a pas cette chance, et sa voix ne compte pas dès lors qu'elle ne passe pas par vous.
Comme il n'est pas question de fonder une cité bleue, il ne nous reste qu'un mince espoir : celui de voir nos jardins devenir bleus.
(une pause)
Si je puis me permettre, ô mon roi, présager du désaccord du Général Krondor est peut-être prématuré...
Notre Général est un renard politique dont l'intelligence est d'autant plus vive qu'elle est discrète : nullement concerné par un enjeu de souveraineté, à Farnya, il verra dans mon projet un réequilibrage des forces en présence qui ne fera pas des bleus une source d'ennuis... mais calmera les ambitions et les initiatives - je pense à l'expérience malheureuse de l'Oorhisanisphère, qui a sérieusement blessée plusieurs de nos soldats - d'une Bulle Rouge d'autant plus audacieuse qu'elle se considère seule décisionnaire.
Il notera aussi que diviser les gardes municipaux en deux entités distinctes réduira les éventuelles "ambitions militaires" de chacun, puisqu'il deviendra alors impossible pour quiconque - sauf pour vous, ou pour lui - de réunir toutes les forces combattantes de la cité rouge sous son autorité.
Il observera que ses frères noirs, eux, demeureront unis sous ses couleurs, lors que leurs "concurrents" de la garde seront tantôt membres d'une couleur, tantôt d'une autre : les forces vives de l'armée en sortiront comparativement renforcées, et leur importance sur le plan militaire en sera corrélativement accrue.
Enfin, j'ose affirmer qu'au-delà de l'actualité douloureuse de mes jardins, au-delà même des questions politiques et sécuritaires, cette mesure est une mesure de justice, héritée de notre histoire ancienne, qu'en tant que roi de tous et de toutes... il vous revient d'appuyer.
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