*** Et m...isère. Après ses derniers exploits dans les environs immédiats d'Arameth, il s'était de nouveau retrouvé dans une situation très inconfortable, qui avait entrainé comme conséquence principale la disparition de son corps physique et son transfert dans ces limbes obscures maintenant familières. Pour dire cela plus prosaïquement, il avait rencontré un monstre, et les rapports de force étant ce qu'ils sont, il s'était fait massacrer.
S'il comptait bien, il en était à quatre morts, et pour quels motifs?
La première, il était retourné à la Ruche une heure après son évasion, -quelle idée d'oublier son doudou porte-bonheur, un des rares souvenirs de son enfance?- et s'était fait massacrer par une matriarcale encore plus hystérique que la normale, c'est dire. Quatre mois de préparatifs minutieux gâchés par une étourderie et une peluche.
La seconde, c'était en descendant rapidement d'un mur. Pas excessivement dangereux me direz vous. Avez vous essayé d'atterrir la tête la première?
La troisième, summum de l'ironie, en se portant un coup mortel avec sa propre pelle. Il faut le faire, non ?
Et la dernière en date : un échange musclé avec un esprit naturel. Le truc que les enfants sont capables de faire fuir avec un lance-pierres, ou presque. Pas Drennec malgré ses décennies et sa pioche de combat...
***
*** C'est un être bien désabusé qui faisait les comptes en ce lieu certes peu propice aux réjouissances. En cette époque tourmentée où les rejetons se pressaient en masse aux portes des villes, faisant tomber leurs défenses les unes après les autres, où la corruption étendait ses tentacules partout sur Syfaria, de valeureux guerriers se dressaient contre la menace et tombaient au combat, se sacrifiant pour leur Faction, pour leur Île bien-aimée... La camarde en chantant. À eux, les ors et la gloire, les chants dédiés, la reconnaissance éternelle. Par contraste, cela rendait ses propres morts encore plus pitoyables et inutiles. Personne ne trépassait pour un pot de fleur qui tombe sur la tête ou d'une blessure au talon qui s'infecte. Seul lui en était capable. Il imaginait le dialogue qu'il aurait avec son mou à la sortie : ***
« Ce sont des héros, ils ont accompli de grands exploits, mais ils sont morts! »
dit :Toi aussi... Je veux dire, toi aussi, tu es mort...
...
*** Le destin ne lui avait-il accordé la faculté de ressusciter que pour le regarder mourir encore et encore ? A quelle fin, à quelle divinité cruelle servait-il de distraction sur l'échiquier instable du monde? Et surtout, où était passé le fier aventurier qui avait puisé en lui le courage de défier les Matriarcales qui prétendaient gouverner son existence jusqu'à ce que des cheveux gris lui poussent, d'affronter les périls de la route et le désert d'Amody, l'inconnu d'une nouvelle Faction, d'une nouvelle existence? (En fait, ce ne s'était pas vraiment passé comme cela, l'inconnu qui l'avait abordé lui avait grandement facilité les choses, quand au voyage, il avait voyagé gratis par les Piliers...) Toujours était-il que depuis sa Symbiose, censée offrir à son heureux bénéficiaire un départ nouveau et fulgurant dans la vie, les choses avaient semblé se dégrader pour Drennec. Un véritable bon à rien. Peut-être que quelque chose s'était-il détraqué lors de sa première "mort", survenue avant que la symbiose ne soit complète? (saletés de Matriarcales. Elles auront à répondre de cela en plus du reste) Aurait-il hérité du premier mou vampire, ou un être plus puissant que cette boule de chair tirait-il les ficelles pour son compte? ou alors, il y avait de l'entropiste dans le coin. Entre toutes ces hypothèses réjouissantes, que préférer? ( À noter, bannir les entropistes de la ville, lorsque je serai maire. On ne sait jamais...) ***
*** En tout cas, à force de fréquenter les limbes, il les trouvait nettement moins oppressantes. Étais-ce du à la sensation de liberté qu'accompagnait paradoxalement la décorporation? Où à la fraîcheur du milieu éthéré environnant, par rapport à l'atmosphère écrasante d'Arameth... Qu'importe, pourvu que ce ne soit pas du à l'absence de son mou! En tout cas, Drennec se sentait étrangement calme, comme détaché (détaché, quelle bonne blague, pour une "ame?" sans corps !) Autant mettre ce temps à profit pour réfléchir à son devenir. On lui avait proposé un poste de caravanier, et il ne s'était guère dépêché d'accepté l'invitation. La liberté avant tout, qu'il pensait! Quel gâchis... Il était temps de faire un choix. Voulait-il rester libre et médiocre, ou s'engager dans la Confrérie, réaliser son rêve de géologue, cesser d'être ce maigrichon risible pour devenir respectable et respecté? Il devait faire un choix, maintenant, et assumer les indéniables conséquences que cela entrainerait. Il pourrait revenir en arrière par la suite, bien sur, mais cela aussi était un choix, et pour le moment il n'était pas encore à faire. ***
*** Il y eut comme une ride dans le silence de cet univers impalpable, et Drennec choisit. ***
*** Restait le problème de la perte de ses capacités une fois retourné à la vie. Et si sa symbiose se révélait réellement néfaste? ... Il allait bientôt quitter cet univers de silence et retrouver l'agitation de la matérialité. Son mou, aussi. Et ses mains gauches, et son cerveau de... de pas grand chose, en fait. Dans le monde des vivants, il avait peu d'espoir de d'en sortir, bien peu...
Mais dans celui-ci? Le néant-qui-n'en-est-pas-vraiment-un avait peut-être conservé les empreintes des âmes qui étaient passées par ce monde et en étaient ressorties depuis des dizaines d'années. Des milliers d'âmes, valeureuses, vénérables, vivant encore dans ce lieu, peut-être, d'une certaine façon. Et même des poussiéreux plus modestes, mais riches d'une expérience qui lui fesait défaut. Tant de professeurs et de savoirs disponibles, tant de connaissances à enseigner, s'il le trouvaient, lui, ces êtres ou ces souvenirs d'âmes éthérées!
Les perturbations à la surface de ce qui n'est pas se firent plus sensibles autour de Drennec, à mesure qu'il envoyait son appel vers l'inconnu, son esprit sondant les limbes infinies toujours plus loin, explorant le spectre (!) des émotions ressenties, partagées et des pensées conscientes. Altérations, ridules, ondulations couraient en tous sens dans ce milieu pourtant intangible comme des milliers de gouttelettes d'eau feraient crépiter et frémir la surface d'un lac sans que celui-ci ne cesse à aucun instant de contenir autre chose que ces mêmes gouttes. ***
« Esprits, entendez mon appel... Apprenez moi ce que vous savez... Apprenez moi... »