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Sujet lancé par Orphèle
Le 24-08-1509 à 13h13
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Posté par Miraë,
Le 28-08-1509 à 08h03
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Orphèle

Le Luang 24 Agur 1509 à 13h13

 
Voici les deux contes que j'ai découvert en parlant au Démystifieur Liam, de l'Ordre des hauts-Rêvants. Il les tient lui-même de l'Onyr Penthésilée, qui les tient de son feu précepteur Neij. Quant à savoir d'où lui-même les tient, voilà une autre histoire. Ces légendes sont-elles de son invention, sont-elles le produit des Hauts-Rêvants ou sont-elles originaires du Matriarcat ? Difficile à dire, mais quoiqu'il en soit, je les trouve superbes. Et proche de cette sensibilité propre à notre philosophie et plus encore, propre à notre science de l'Astrologie.

Le premier conte, l'histoire de la mythique oracle Quionée et de l'immortalité de notre Mère des Cieux, Akaliara :


***

L'Astrologue Quionée ?
***

« Loin au Septentrion, dans la ville secrète de Kryg, l'aube de l'Histoire Matriarcale est auréolée d'une bien étrange légende...

Les premières érudites de la faction guerrière n'étaient pas sujettes au Fatalisme, comme le sont celles d'aujourd'hui : l'horrible malédiction qui les frappe, le D'Hapu, n'avait pas encore affecté leurs corps et leurs âmes au point de marquer leur culture d'un sceau – et d'une cicatrice – indélébiles. Mais déjà, leur science des astres surpassait celle des autres poussiéreux, et peut-être même celle des nemens. A défaut de les rendre fatalistes, cette accointance prononcée pour les édits célestes incitait les fières matriarcales au... déterminisme le plus radical qui soit. Dans leur vie bien réglée, le hasard ne tenait qu'une place périphérique. Tout était pensé et fait pour réduire son empire à la portion congrue.

On raconte que la plus fameuse astrologue de l'antiquité s'appelait Quionée. Elle vivait à Kryg et dirigeait une incroyable bibliothèque qu'une armée de copistes, entièrement dévouée à la savante des savantes, alimentait chaque jours de nouveaux ouvrages.... bien particuliers. Ces ouvrages faisaient la réputation de Quionée, car elle y puisait un savoir incroyable sur ses sœurs de factions et, plus généralement, sur l'ensemble des poussiéreux de Syfaria.

Bien sûr, un tel pouvoir ne s'établit pas sans créer des tensions. Les puissants de l'époque s'émurent de l'émergence, en leur sein, d'une Pythie aux talents divinatoires implacables. Nul ne pouvait échapper aux prédictions de l'extraordinaire Quionée, et sa réputation s'étendait bien au-delà des murailles de la cité. Ses sœurs, en particulier la Mère des cieux Akaliara, la toléraient parce que son pouvoir assurait au Matriarcat un indéniable ascendant sur les autres factions...

C'était du moins la thèse officielle. En vérité, elles la craignaient.

Bien des fois, des inconscientes ou plus simplement des curieuses avaient tenté d'investir la fameuse bibliothèque de l'astrologue ; d'autres s'étaient mises en tête de faire parler ses disciples. Mais ces dernières, les lèvres cousues de fil d'or, préféraient mourir sous la torture plutôt que trahir leur patronnesse. Et Quionée, forte de ses prévisions irrévocables, déjouait sans peine les complots dont elle était régulièrement l'objet.

Quelques décennies passèrent. Rien ne semblait pouvoir contrarier l'ascension de l'érudite, promise à un avenir radieux. Son influence grandissait, mais... elle vieillissait. Et l'heure de sa mort approchait, car l'astrologue ne s'en était jamais cachée : elle se lassait d'une vie dénuée de surprises. Elle en mourait.
Et ce qui devait arriver arriva : par un froid matin d'hiver, elle s'éteignit dans son lit... sans l'avoir prédit.

La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre : Quionée était morte ! Dans les rues de Kryg, la rumeur et la foule enflèrent de concert, s'alimentant l'une l'autre en une synergie infernale qui déboucha sur la plus terrible des émeutes de l'histoire poussiéreuse ! Submergées par la masse déchainée des habitantes, les copistes aux lèvres closes succombèrent l'une après l'autre devant les portes de leur bibliothèque, et les matriarcales violèrent enfin le saint des saints...

Ce jour-là, la Mère des Cieux était en ville. Comme bien des habitantes, tenaillées par une indicible curiosité, elle se rua vers la bibliothèque de l'astrologue disparue. Dans les travées, on se battait, on s'étripait, on s'arrachait les livres des mains ! Car très vite, leur abominable contenu s'était révélé aux yeux incrédules des guerrières épouvantées : chaque ouvrage était l'histoire d'une vie, de la naissance à la mort. Chaque ouvrage narrait l'existence d'un poussiéreux, et délivrait, entre autres informations... la date précise de son trépas.

Les intrépides amazones étaient prises de frénésie. Elles couraient, hurlaient, pleuraient, complètement hystériques, ivres d'un désir aussi malsain qu'irrépressible ! Elles cherchaient leur livre ! Elles voulaient savoir mais surtout, surtout... elles voulaient réécrire l'histoire !

Ce qui devait arriver arriva : une fille renversa une table, des chandelles churent, des flammes léchèrent les murs et le bâtiment s'embrasa. La bibliothèque de Quionée devint un piège mortel ! Les entrantes tardives butaient sur les sortantes brûlées, la fureur et la panique alimentaient le chaos ! Très vite, l'incendie se mua en tempête de feu et des livres, il ne resta rien...

Rien ?

Sauvé de l'enfer in extremis, caché sous la toge de son illustre propriétaire, quelque peu noirci de suie et de cendres tièdes, un ouvrage en réchappa. Ce n'était qu'un petit livre d'une centaine de pages, mais il contenait les grandes lignes de la vie d'un être : Akaliara. A petits pas, sans se faire voir, elle s'esquiva promptement...

Et c'est ainsi que, selon la légende, la première des matriarcales devint immortelle, à jamais maîtresse de son destin.
»


 
Orphèle

Le Merakih 26 Agur 1509 à 17h26

 
Voilà le second, nommé "L'étoile". Le thème en est encore l'astrologie.
Et quelque chose de plus. Je le trouve splendide, tout simplement, et j'espère que vous l'apprécierez aussi.


*** ***

« Il y a bien longtemps, dans la mystérieuse cité de Kryg, naquit une rumeur :

La rumeur qu'une astrologue, très pauvre mais très sage, travaillait et composait d'extraordinaires thèmes sans demander rétribution dans les quartiers miséreux de la ville. On ne connaissait d'elle que ses écrits, fascinants, et son nom : Stella.

Personne ne l'avait jamais vue, mais tout le monde prétendait la connaître :

" - C'est une sainte, " disaient les uns : " elle a croisé mon beau-frère Esgard, qui rencontrait des difficultés dans ses affaires et ne savait quelle décision prendre... et bien, il est aujourd'hui le mâle le plus riche du monde ! "

" - C'est une étoile tombée du ciel, " disaient les autres : " elle connait le langage oublié des astres, elle parle aux oiseaux, aux nuages et aux nuées ! "

La rumeur grandit, se répandit dans toute la ville, au point que la Mestre de Kryg s'en émut. Elle convoqua son astrologue personnelle et demanda à cette dernière d'enquêter et d'établir un rapport sur la dénommée Stella, qui commençait à créer une certaine effervescence dans des secteurs de la ville déjà bien... agités.

L'astrologue en question n'était pas une enquêtrice de métier, loin s'en faut. Qui plus est, elle était assez âgée et quelque peu jalouse de la notoriété grandissante de sa mystérieuse rivale. Elle délégua l'affaire à l'une de ses subalternes, qui fit de même : de fil en aiguille, c'est une toute jeune gardienne prénommée Abeth qui se retrouva chargée de retrouver et d'interroger Stella.

Abeth n'était pas très versée dans les arts divinatoires, mais possédait quelques bases qui lui furent bien utiles pour démarrer son enquête. Elle écumait les bas-quartiers, interrogeait ses habitants, s'entretenait avec les taverniers, les livreurs, les enfants des rues... sans succès. Tout le monde évoquait l'astrologue, les yeux brillants et l'expression extatique, mais Abeth devait se rendre à l'évidence : bien peu de gens l'avaient rencontrée, et ces gens-là, elle ne les trouvait pas.

Elle cherchait ainsi depuis un mois lorsqu'un soir, surprise par une tempête de neige, elle se réfugia sous le porche d'une mercerie sur le point de fermer. Le vieux mâle qui la tenait accueillit la jeune tydale pour qu'elle se sèche et se réchauffe à son poêle fumant. Ils commencèrent à discuter...

Le mâle était fascinant : cultivé, d'une sagesse inattendue, très pédagogue et extraordinairement savant en matière d'astrologie. Cette nuit-là, Abeth progressa dans la compréhension de cet Art plus qu'en dix-huit années de vie. Elle finit par demander au vieil homme s'il n'était pas le Maître, ou le Précepteur, de cette fameuse Stella. En réponse, il se fendit d'un mystérieux sourire et dit simplement :

" - Non, dame Abeth. Je suis juste un humble commerçant, qui a eu la chance de rencontrer l'une de ses lointaines disciples. Une disciple du neuvième cercle, si ma mémoire est bonne... "

" - Du neuvième cercle ? Que voulez-vous dire ? " S'enquit la gardienne.

" - J'entends par là qu'à partir de moi, neuf personnes bien plus sages et plus savantes vous séparent encore de Stella. Je ne bénéficie pas de son enseignement, mais de celui d'une femme qui elle-même, le tient d'un autre qui lui-même... et ainsi de suite, jusqu'à la divine astrologue. A chaque étape, la pureté de son message s'étiole et se meurt. Viendra un temps où la mémoire même de Stella s'éteindra, et son étoile disparaitra... "

Incrédule, Abeth demanda pourtant au couturier de bien vouloir l'orienter vers celle qui l'avait instruit. Elle n'avait que cette piste, quelques maigres indices et pour tout témoignage, celui d'un mâle étonnamment informé mais surtout, surtout, étonnamment... brillant.

Un nouveau mois s'écoula, rythmé par des vagues de froid comme Kryg en avait rarement connues dans son histoire. Abeth mis sa recherche à profit pour progresser en astrologie, la mémoire encore riche des éclairages savants du vieux commerçant.
Finalement, elle rencontra une femme plus surprenante encore que ce dernier !

C'était une mendiante, anonyme parmi les anonymes. Abeth la dénicha dans un foyer collectif, perdue au milieu des indigents, mâles pour la plupart. Elle lui offrit un vin chaud à l'auberge, cherchant à capturer son regard que de longues mèches sales cachaient à sa vue. La crasse et les boutons lui mangeaient le visage et pour l'heure, elle n'avait encore rien dit. Lorsqu'enfin, la clocharde releva les yeux et s'exprima, Abeth en fut comme crucifiée :

La souillon était lumineuse, il n'y a pas d'autre mot. Elle rayonnait d'un savoir et d'une sagesse insondables, inépuisables, presque effrayants d'inhumanité. La gardienne en avait le vertige, ne sachant quelles questions poser, quel thème aborder. Il lui semblait que cette femme lui était destinée, à elle et personne d'autre, que cette rencontre était écrite et quelque part, déjà résolue. Qu'elle s'inscrivait dans l'ordre naturelle des choses.
Cette nuit-là, l'enquêtrice ne trouva pas le sommeil, et progressa dans sa compréhension du monde comme jamais.
Lorsqu'elle retrouva ses esprits, elle osa demander à la mendiante qui elle était... vraiment. Cette dernière lui confirma les dires du commerçant : elle n'était qu'une apôtre du huitième cercle. A partir de l'indigente, sept personnes bien plus érudites séparaient Abeth de l'objet de sa quête.

Plongée dans des pensées vertigineuses, désormais coupée d'une hiérarchie qu'elle ne comprenait plus, la jeune gardienne devenue bien savante poursuivit ses recherches avec fièvre. Au cours de l'Hiver et du Printemps suivants, en une longue spirale tant réelle que spirituelle, elle rencontra successivement les sept sages désignés par la femme :

Tous étaient pauvres, humbles, mâles ou femelles habitants des quartiers miséreux de Kryg.
Tous étaient sales, vivaient en ascètes, absolument indifférents à l'agitation des êtres et des choses.
Tous étaient tournés vers une étoile, Stella, et rayonnaient de sa lumière.
Et, à mesure qu'Abeth approchait de sa Coupe, elle croisait des disciples de plus en plus touchés par la grâce. Elle-même grandissait, se nourrissant de leurs édifiants discours.

Elle-même... changeait.

*** *** ***


C'est l'été.
Il fait chaud.

Au cœur de la crasse et de la misère du dispensaire, au vingtième jour de l'épidémie de peste qui décime les bas-quartiers maintenus en quarantaine, Abeth s'avance vers une alcôve dont les rideaux sont noués. Dans la salle aménagée en mouroir, on ne croise personne. Ici ne reposent que des gens condamnés, que la vie abandonne, que la maladie ne laissera bientôt plus s'échapper.

La jeune tydale n'a plus grand-chose à voir avec la personne qu'elle était, il y a presque un an révolu. Elle porte en elle la lumière de Stella. Peut-être est-elle la plus brillante, la plus éblouissante de ses disciples. Et, au terme d'une quête intérieure qui lui fait aujourd'hui tutoyer les dieux, elle vient boire à sa source comme un bateau revient au port.

D'un geste simple, elle écarte la lourde toile cirée et s'avance.

Stella est morte.
Peu importe son aspect, qui elle était. Abeth arrive trop tard. Sous ses yeux secs, une gisante repose à jamais.
Les paroles du vieux marchand résonnent dans l'esprit infini de l'ex-gardienne : Viendra un temps où la mémoire même de Stella s'éteindra, et son étoile disparaitra...

Alors, elle comprend !

Des pas claquent au sol. Des bruits de botte. Le dispensaire est investi par des soldates, nerveuses et même apeurées : et si elles tombaient malades ? Et si la peste les fauchait ? Mais les ordres sont les ordres...
Elles parviennent à l'étage. On leur indique le mouroir. Elles hésitent : l'air y est, dit-on, infesté d'humeurs mauvaises. La mort y tient concile, et celles qui entrent là n'en ressortent pas. Mais l'escouade n'est pas lâche, les matriarcales ne sont pas des couardes ! Leur capitaine retire son heaume, ajuste sa cape, pousse la porte et entre dans la salle maudite.

Elle voit une jeune femme étrange, debout au chevet d'un cadavre. La guerrière s'approche, va pour lui poser une main sur l'épaule, mais l'inconnue se retourne. Elle tient ses yeux baissés, mais son aura est telle que la Capitaine recule, comme violemment frappée au cœur. D'une voix qu'elle essaye de garder ferme, elle demande pourtant :

" - Nous recherchons... quelqu'un. Une astrologue. Qui êtes-vous ? "

Abeth relève la tête :

" - Stella. "
»


 
Miraë

Le Vayang 28 Agur 1509 à 08h03

 
Le premier conte est surement fictif, et je le trouve assez réducteur de la discipline tydale. J'ai l'impression que l'auteur ne connaît pas notre société, nous ne sommes pas avares, espiègles et prêt à tout pour atteindre un objectif autre que la fin du tableau. Peut être qu'avant notre malédiction nous étions moins fataliste mais non moins disciplinée. De plus je n'aime pas sa vision de notre Vénérée Mère.

Pour le second conte il est en effet un peu plus plaisant à lire même si j'ai l'impression que Kryg est encore une fois assimilée à une ville de sauvage, surtout avec des mâles s'exclamant de joie d'être devenu riche. Personne ici n'est ambitieux, chacun à son rôle et doit s'y tenir.



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